Charlotte Moth — par les lueurs

Exposition

Techniques mixtes

Charlotte Moth
par les lueurs

Encore environ un mois : 12 octobre → 21 décembre 2024

« Dans ce blanc, nous vivions des vies colorées. » Derek Jarman

Isabelle Alfonsi : Je me souviens de l’exposition personnelle de Charlotte organisée en 2017 à la galerie et qui s’intitulait lightly in the world. Ce titre — extrait d’un texte de Ian Hunt à propos de son œuvre1 — continue à m’habiter dès que je pense au travail de Charlotte, à la justesse et à la légèreté avec laquelle son regard se pose sur les lieux, depuis son Travelogue2 jusqu’aux images de l’Institut Giacometti et de la Maison Louis Carré présentées aujourd’hui à la galerie. C’est ce caractère organique et fluide, invitant la représentation des lieux où elle a exposé précédemment à l’intérieur même des nouvelles images produites, qui nous attache durablement à son travail artistique. Nous voyageons à travers elles d’espace en espace, nous arrêtant avec l’artiste sur les détails qui l’intéressent, happé·es par une forme de poésie accessible presque partout. Nous ressentons de la familiarité pour les formes qui peuplent les œuvres de Charlotte Moth, objets du quotidien sélectionnés pour leur qualité sculpturale et chromatique, savamment orchestrés en résonnance avec les photographies argentiques dont la douceur parvient sans cesse à nous toucher. Elle réunit avec tendresse depuis presque vingt ans un intérêt nourri pour les formes géométriques de l’architecture moderniste et du minimalisme, un goût pour le décoratif et l’ornement et un rapport amoureux avec la nature. L’installation du sous-sol, intitulée The dead-end dispute between the wave and the shore, est parfaitement représentative de cette triple alliance et de sa manière de faire, toute en légèreté. Au sol de cette salle aux lignes plus ou moins orthogonales, l’artiste a déposé des plumes de canard, contrariant ainsi l’aspect brut de l’espace pour que nous puissions l’imaginer d’une autre espèce. Une image de sa sculpture To a Favourite Tree prise lors de son exposition récente dans le jardin de la Maison Louis Carré3, complète l’installation. Il nous suffit de considérer en même temps les lignes d’ombre d’un cube minimaliste disparaissant sous l’herbe qui pousse et le tapis de plume dissimulant une grande partie du sol en béton pour comprendre qu’il ne s’agit pas pour Charlotte de simples gestes décoratifs, mais d’un véritable soin apporté aux espaces et aux sculptures qui les commentent et les embellissent.

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Vue de l’exposition Charlotte Moth, par les lueurs à la galerie Marcelle Alix, Paris Courtesy de l’artiste et galerie Marcelle Alix, Paris, 2024 — Photo : Juliette Pelletier

Cécilia Becanovic : Il y a plusieurs années, je découvrais la conférence de l’écrivain Italo Calvino consacrée à la légèreté. De toutes celles qui sont rassemblées sous le titre Leçons américaines4, la légèreté est celle qui m’a le plus marquée. Italo Calvino y constate que son intervention en littérature s’est traduite par « une soustraction de poids ». Cette définition globale pour évoquer son activité me semble également correspondre au chemin emprunté par Charlotte Moth. En passant par la concrétude des choses, en allant vers ce qui est petit, mobile et léger, elle fait en sorte que jamais le poids de la matière ne nous écrase. Que ce soit dans ses photographies, ses sculptures ou encore à travers des gestes qu’elle dédie à l’espace lui-même, Charlotte Moth éprouve toujours le besoin d’aller vers d’imprévisibles déviations afin de dissoudre la compacité de ce qui l’entoure. Elle calcule le passage d’une forme à une autre et fait voyager des messages immatériels dans un monde d’atomes sans poids. Par des enchaînements subtils qui impliquent un certain degré d’abstraction le rythme intérieur de l’exposition révèle son pouvoir de suggestion et cela, sans précipitation et sans l’impitoyable regard de Méduse évoqué par Calvino. Charlotte Moth a le goût des miroirs. Ils l’aident à regarder ce qui l’entoure par le reflet ou par les lueurs. Ces modes indirects et surtout cette légèreté propre à Persée qui a si souvent épaulé Calvino est la grande alliée de Charlotte Moth. Celle-ci prend régulièrement appui sur ce qu’il y a de plus léger : des poignées de plumes qui ont rejoint le sol, l’herbe qui gentiment soustrait une forme à la vue, le filtre coloré aussi efficace qu’une nouvelle couche de peinture, des images ou des objets capturés dans des miroirs comme pour performer en direct l’instabilité bienfaitrice du regard qui jointe parfois la photographie et la sculpture que l’artiste met systématiquement en contact. Cette volonté de passer par la vision indirecte adoucit chaque geste, de sorte qu’on les considère par d’autres biais. Les mythes nous apprennent à aimer les contraires (ici la légèreté et la pesanteur), surtout si ces contraires font de la place aux traces les plus minimes, de celles qui animent durablement une exposition. Les trois dernières expositions de Charlotte Moth à la galerie partagent ce tour de force de lier différents lieux entre eux en se servant d’une action et de ses différents échos dans la réalité. En changeant à chaque fois d’approche, Charlotte se soustrait autant que possible à la force de gravité ainsi qu’à la pesanteur du vivre. Charlotte tu pourrais, comme l’écrit Calvino, avoir pensé ceci : « Les images de légèreté que je cherche ne doivent pas, au contact de la réalité présente et future, se laisser dissoudre comme des rêves… »5

Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic sont les directrices et fondatrices de la galerie Marcelle Alix, Paris.

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Vue de l’exposition Charlotte Moth, par les lueurs à la galerie Marcelle Alix, Paris Courtesy de l’artiste et galerie Marcelle Alix, Paris, 2024 — Photo : Aurélien Mole

Charlotte Moth est née en 1978 à Carshalton, Royaume-Uni. Elle vit à Paris depuis 2007. La Fondation Serralves à Porto (2011), le Centre d’Art contemporain de Genève (2012), la Fondation Esker (2015), le CA2M — Centro Arte Dos de Mayo, Espagne (2019) ont organisé des expositions personnelles de son travail. La Tate Britain a commandé et exposé sa série d’œuvres autour de Barbara Hepworth, Choreography of the Image dans sa salle d’archives en 2015-2016. Le Kunstmuseum Liechtenstein a accueilli une importante exposition personnelle en 2016, accompagnée d’une publication monographique : Travelogue (ed. Snoeck). L’exposition a ensuite été présentée au centre d’art du Parc Saint-Léger et au MIT List Visual Center (USA). Le Musée d’Art Contemporain de Saint-Étienne prépare avec l’artiste une exposition monographique en avril 2025, pour laquelle elle a travaillé au cours des trois dernières années à développer une nouvelle série d’œuvres associant différents objets issus de la collection d’art et de design.

1 In Charlotte Moth. Travelogue, publication monographique, ed. Kunstmuseum Lichtenstein et Snoeck, 2016

2 Journal de voyage en images qui constituait la colonne vertébrale du travail de l’artiste pendant les dix premières années de sa pratique.

3 « La marche supplémentaire » cur. Isabelle Alfonsi & Cécilia Becanovic, Maison Louis Carré, Bazoches-sur-Guyonne, 2024

4 Italo Calvino, Leçons américaines, Éditions Gallimard, 1992

5 Italo Calvino, Ibid, p.26

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4, rue Jouye-Rouve

75020 Paris

T. 09 50 04 16 80 — F. 09 55 04 16 80

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