Disparité et Demande — Une proposition de Pedro de Llano, curateur en résidence
Exposition
Disparité et Demande
Une proposition de Pedro de Llano, curateur en résidence
Passé : 24 mai → 12 juillet 2014
L’exposition Disparité et Demande propose d’explorer la fonction des affects dans la vie urbaine contemporaine, les systèmes de production et les réseaux sociaux. De l’espace domestique aux environnements virtuels, elle traite des espaces interstitiels où le caractère « effectif » et l’« affectivité » s’affrontent.
Disparité et Demande est un titre emprunté à une œuvre de Juan Luis Moraza : délibérément technocratique, cette formule semble directement tiré du jargon de la finance et se réfère avec ironie à cette condition ambigüe des affects contemporains où le caractère objectif, pragmatique et subjectif se fondent. Le terme « disparité » évoque une relation inégale entre les individus, mais il pourrait aussi s’agir du Léviathan bureaucratique, commercial ou virtuel. « Demande » semble désigner une forme de vampirisation opérée par les marchés, les administrations et les réseaux sociaux qui spéculent sur les émotions et contre laquelle chacun lutte au quotidien. Paris, où cette condition bipolaire des affects est toujours présente et polémique, comme nous l’avons vu dans une partie du cinéma français contemporain (L’Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie ou Jeune et Jolie de François Ozon), semble un lieu idéal pour entamer une discussion sur ce paradoxe.
Le texte de Brian Holmes intitulé The Affectivist Manifesto (Le Manifeste de l’affectivité, 2008) où l’affect est définit comme « un espace intermédiaire entre l’auto-absorption et la prison de l’ordre social » — telle une « réalité partagée » –, m’a été extrêmement utile pour donner à l’exposition une orientation concrète puisqu’il indique les différents niveaux où l’affect agit : l’intime, le social, le virtuel avec toutes leurs possibles degrés et nuances internes : l’amitié, la famille, l’amour, la nation, la culture, etc.
L’exposition reflète ce concept d’élargissement de la sphère intime à l’espace social : elle croît comme une spirale dont le noyau se situe dans le caractère intime de l’œuvre de Juan Luis Moraza, pour s’étendre dans les salles donnant sur la rue, vers des œuvres à la vocation sociale plus marquée — les « diagrammes » de Ricardo Basbaum, les histoires de Loreto Martínez Trocoso ou la lutte de Babi Badalov pour le statut de réfugié politique en France — brouillant ainsi les limites entre l’intérieur et l’extérieur de La Galerie.
Juan Luis Moraza
Juan Luis Moraza (Vitoria, 1960) est un des artistes les plus importants de sa génération en Espagne. Actuellement, il prépare une exposition pour fin 2014 au Musée Reina Sofía (Madrid). Les œuvres sélectionnées pour l’exposition appartiennent à une série de moules de baisers réalisée en 2004, et qui, tout en pouvant être liée à l’intime et au tactile, nous alerte « sur le terrible codage, le fichage et la capitalisation des affects ; une évocation du capitalisme émotionnel par des instantanés tridimensionnels du caractère physique du baiser ».
Babi Badalov
Le projet Bureaucratic Diaries (2010-2014), de Babi Badalov (Lerik, Azerbaïdjan, 1959, vit à Paris) est une collection de treize dossiers qui nous guide au cours de déprimants mois vécus par une personne prisonnière de la peur et de la frustration, qui espère et attend sa « rédemption » en obtenant le statut de réfugié politique. Cette œuvre reflète l’expérience personnelle de Badalov lorsqu’il demanda l’asile en France en 2008 et peut être entendue comme un cri contre la bureaucratie et le formalisme, une représentation de la panique à l’idée de devenir otage de la langue. C’est aussi une méditation sur la lutte pour s’adapter à un nouveau pays et sur les obstacles à franchir pour lui « appartenir », que ce soit comme voyageurs, émigrants ou exilés.
Mauro Cerqueira
À partir de son expérience quotidienne dans les rues de Porto, Mauro Cerqueira (Guimarães, 1982) a créé un projet radicalement hybride — sculptures, installations, peintures, collages, photographies, vidéos, performances, livres d’artiste, etc. —, qui peut être vu comme une chronique détaillée d’un certain déclin de la société portugaise. À La Galerie, est présentée pour la première fois en France une série de pièces où l’empathie et l’affect jouent un rôle central : vidéos, livres d’artiste, assemblages d’objets fonctionnent comme une espèce de portrait collectif du quartier de l’artiste à Porto menacé de destruction et de gentrification, et dont les voisins sont les acteurs : Paulo, Serafim, Luis…
Loreto Martínez Troncoso
Le travail de Loreto Martínez Troncoso (Vigo, 1978, vit à Paris) évolue dans une relation dialectique entre la présence et l’absence. Pour ce faire, elle utilise le langage comme principal outil d’expression, jamais de manière innocente, en l’interrogeant et en le transformant sous des formes diverses : performances, œuvres sonores, textes ou dessins. À La Galerie est présenté un projet récent, Puls[at]ion (2014) où l’artiste s’adresse à un inconnu — peut-être le visiteur — pour lui parler d’amour et de rencontres, fugaces de personnes dans la rue qui se croisent et disparaissent.
Loretta Fahrenholz
My Throat My Air est une vidéo réalisée en 2013 par Loretta Fahrenholz (Allemagne, 1981). À l’instar d’œuvres antérieures, comme Implosion (2011) ou Ditch Plains (2013), Fahrenholz transforme des proches en acteurs afin de créer des situations ambiguës entre réalité et fiction. Dans cette vidéo, l’artiste met en scène un drame familial, dans un quartier bourgeois de l’ouest de Munich, avec pour acteur principal Ulli Lommel, ancien acteur de Rainer W. Fassbinder, collaborateur de Warhol et réalisateur de films d’horreurs. Les scènes se succèdent dans une ambiance irréelle où des thèmes comme la précarité, l’agressivité, le jeu et l’humour émergent au premier plan. My Throat My Air pourrait être décrite comme une version européenne et existentielle de South Park ; ses personnages habitent dans un environnement similaire, agissent avec lenteur, comme drogués ou répondant à des impulsions absurdes. À différents moments, tous mettent en scène une mort violente fictive, sauf la « mère », qui assure venir d’une planète où tout est « éthéré et incorporel ».
Ricardo Basbaum
Les diagrammes de Ricardo Basbaum (São Paulo, 1961) sont, selon ses propres mots « des espaces potentiels pour l’activation du désir et de la volonté… des stimulateurs de conscience… des structures pour la rencontre en un lieu délaissé par l’éducation… producteurs de subjectivité ». Les diagrammes s’inspirent de la pratique collaborative d’artistes brésiliens de générations antérieures à la sienne, tels Lydia Clark ou Hélio Oiticica, pour lesquels l’affect était une question centrale. Le travail de Basbaum n’a jamais été montré en France, bien qu’il soit intimement lié à ce pays, à travers la pensée de Gilles Deleuze, le poststructuralisme ou les textes de Brian Holmes sur sa pratique. À La Galerie, Basbaum présente une nouvelle série de « diagrammes », imprimés sur de petits papiers dispersés sur le sol. Au mois de juin, il réalisera un atelier où sera produite une nouvelle œuvre sonore qui appartiendra à la série récente des Conversations collectives.
Horaires
Du mercredi au samedi de 14h à 18h
Les samedis de 14h à 19h
Fermeture les jours fériés
Tarifs
Accès libre
Programme de ce lieu
Les artistes
- Babi Badalov
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Loreto Martínez Troncoso
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Ricardo Basbaum
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Mauro Cerqueira
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Loretta Fahrenholz
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Juan Luis Moraza