Céline Nieszawer — Doppelgänger

Exposition

Photographie

Céline Nieszawer
Doppelgänger

Passé : 8 novembre 2012 → 12 janvier 2013

Ce line nieszawer original grid Céline Nieszawer à la galerie NextLevel La série _Doppelgänger_, soit en français « sosie », est une plongée dans la matrice personnelle de sa photographe, Céline Nieszawe... 2 - Bien Critique

Damien Sausset : Dans vos travaux l’idée de série est importante. Pour celle-ci quelle en fut l’impulsion ?

Céline Nieszawer : Parfois un simple accroc dans le fil de ta vie révèle une histoire souterraine longtemps enfouie, oubliée. Ici, tout débute avec un fastidieux travail de tri dans d’anciennes affaires de familles, de ce genre de ménage qui vous pousse à ouvrir placards et boites, tiroirs et vieux albums. Là, quelques photographies m’attendaient. Une particulièrement. Elle fut l’occasion d’un trouble, voire même d’une certaine stupéfaction. On m’y voyait enfant de quatre ans posant sagement aux côtés de ma sœur déjà âgée de dix. Cette photographie valait pour un détail surprenant. Nous étions toutes deux habillées strictement de la même manière malgré notre différence d’âge. Ce fut soudain comme si ma mémoire redécouvrait un territoire oublié. Cette image et d’autres assez similaires, je les connaissais mais les avais rejetées. Avec le recul, je peux désormais parler d’une fulgurance, d’un choc. J’ai immédiatement fait le lien avec une photographie fameuse de Diane Arbus qui m’obsédait insidieusement depuis longtemps : Identical Twins (1967) où l’on voit deux sœurs jumelles habillées de la même façon regarder avec intensité l’opérateur. La photographie de famille me livrait les raisons de cette fascination. De même, je saisissais pourquoi j’avais toujours été sidérée par les deux jumelles « maléfiques » de Shining, le film de Kubrick. Il me fallait donc faire un travail d’introspection et comprendre les raisons qui m’avaient poussée autrefois à écarter certains souvenirs. Je touchais là sans doute la manière dont j’avais construit mon identité. Avec le recul, il peut paraître étrange de voir deux sœurs portant les mêmes robes, les mêmes tissus, comme s’il nous était interdit de nous différencier. En fait, notre mère comme d’autres à l’époque, aimait coudre et imaginer des vêtements. J’imagine qu’utiliser les mêmes tissus pour les mêmes coupes lui simplifiait la vie. C’était très bien fait. Très beau, presque conçu plus pour être photographié que pour être porté. Nous devenions sur ces clichés « sages comme des images ». Nous étions des images !

DS : Vous décrivez une sidération, mais comment avez-vous basculé vers l’idée d’une série autonome ?

CN : Il n’y a pas de décision précise au départ. Depuis toujours, j’observe dans la rue les gens qui se ressemblent, qui s’associent. Cette photographie constituait donc une piste sérieuse (rires). Elle est formidable même si plastiquement elle reste assez quelconque. Elle possède une étrangeté, une puissance indéniable. Elle est là et, en même temps, elle veut dire autre chose. Dans un premier temps, j’ai commencé par photographier des petites filles, plus précisément des sœurs. Mais, cela ne fonctionnait pas car ces images étaient dépourvues du trouble identitaire que je recherchais. Ce n’est que dans un second temps qu’est apparu une évidence : cette étrangeté qui me captivait c’était en fait soi coupé en deux, le moi et l’autre. Les sœurs m’apparaissaient soudain comme une simple extension de ce principe. Le titre de cette série et de l’exposition s’est alors imposé de lui-même : Doppelgänger. Il s’agit d’un mot d’origine allemande signifiant « sosie ». Il désigne également le double fantomatique d’une personne vivante, le plus souvent un jumeau maléfique. Doppelgänger devenait une sorte de questionnement ouvert sur le fait qu’on est souvent et paradoxalement notre propre jumeau maléfique.

DS : L’idée du double maléfique, ce Doppelgänger, elle court dans toute la littérature occidentale mais aussi dans le cinéma. Comment vouliez-vous réactiver cela en photographie ? N’y avait-il pas là le risque d’être trop illustratif ?

CN : Non, car je partais d’une histoire familiale complexe, notamment concernant mes rapports avec ma sœur que j’ai longtemps vénérée. Comme dans toute histoire de fratrie, il y a de l’amour, de la haine aussi. Ce qui importait c’était la façon dont je m’étais construite. Grâce à cette photographie, je découvrais que cette longue expérience m’avait conduite à penser l’idée du jumeau maléfique comme un dépassement du bien et du mal. Il ne s’agissait pas plus d’une inversion que du fait que quel que soit l’endroit d’où tu te places, l’autre c’est le mal. De plus, je voulais que tout cela soit assez léger en terme de composition.

DS : Comment avez-vous construit vos images ?

CN : J’ai toujours dans mon inconscient une image latente, assez organisée. Mais ce n’est jamais celle que j’obtiens à l’arrivée car je suis face à un processus complexe qui doit tenir compte du moment, de la proposition des modèles, de mille choses qui par association d’idées me conduisent à d’autres images. Au final, je ne regrette jamais l’image que je réalise. Finalement, c’est toujours celle que je voulais.

DS : Il y a là une sorte de contradiction !

CN : Absolument pas. Prenez la première image, celle des deux jeunes filles en rouge qui se tiennent la main ! Cette photographie ne correspond pas à ce que j’avais initialement en tête et pourtant c’est exactement cela. Je refusais que l’on perçoive les visages puisque tout partait de ma propre histoire. Je voulais des images anonymes afin que chacun puisse aussi y voir ses propres ambigüités. Les titres attestent de cela. J’ai choisi des prénoms chargés symboliquement tels Eve, Ange, Grace, Blanche, Marie… Nous sommes face à une personne coupée en deux. C’est elle et son double, jamais parfaitement identiques. C’est soi et le miroir de soi, les facettes contradictoires… C’est l’harmonie et le désordre.

DS : De toutes tes séries, Doppelgänger est celle où l’inquiétante étrangeté est la plus présente !

CN : Dans la série Misfits (2009), on retrouvait un peu de ce fantastique avec ces femmes perdues dans un espace immense, hors de proportions.

DS : Curieusement, j’ai perçu dans Misfits une interrogation sur la place de la femme dans la société.

CN : En fait, je ne tente pas de placer un message dans mes séries. Il ne faut pas plus y voir une sorte d’amertume sur le rôle de la femme dans notre monde. Dans Misfits, il y a même une mise en abîme assez drôle. Doppelgänger est plus du côté du fantastique.

DS : Chez vous, comment fonctionne la mise en scène ? Est-ce à partir d’un contrôle très strict des poses et des attitudes ou au contraire en laissant une ambiance s’installer pour ensuite la capter ?

CN : Je choisi deux personnes. Elles ne se ressemblent pas forcément. Seule contrainte, des cheveux similaires. Lorsqu’elles arrivent, j’installe le décor, souvent un papier peint. Quant aux vêtements, je les achète la veille sans me préoccuper de la taille. Dès qu’elles portent le vêtement, elles deviennent le personnage. Je les place, les positionne et leur demande des choses très précises. À un moment donné il y a la grâce. La photo que je voulais est là. Il n’y a pas d’explication rationnelle à cela. La photo vient à moi.

DS : Parlons des formats, du cadrage. Ici les personnages occupent beaucoup d’espace en regard des séries précédentes, les couleurs y sont plus saturées, un peu contrastées !

CN : Je voulais un format carré un peu imposant mais dépourvu de toute monumentalité. Il était important que le spectateur soit dans un rapport de confrontation. Trop petites, les images instauraient une distance ; trop grandes, elles devenaient autoritaires. D’où ce format de 110 × 110 cm. Concernant les tirages, j’espérais des couleurs assez vives, un peu violentes parfois, isolées de l’encadrement par un blanc tournant assez présent.

DS : À quel moment décide-t-on de clore une série et pour quelles raisons ?

CN : Il y a aujourd’hui 18 images. La séquence est complète, achevée.

DS : C’est une question d’envie qui se dissipe ?

CN : Non, c’est plus complexe. Je parlerais éventuellement d’équilibre par rapport à ce que j’avais en tête initialement. Avec le recul, je considère que 12 images auraient sans doute été suffisantes. Étant donné que c’est une série qui touche des choses très importantes, presque essentielles, chez moi, je ne suis pas forcément la meilleure juge sur ce point. L’important est de comprendre que Doppelgänger a pour fonction (au-delà de mon cas et de mes « névroses ») de permette à chacun de s’interroger sur son identité, au plus profond de soi, de voir qu’on est finalement jamais seul, toujours en conflit, toujours en lutte contre ce double, contre cet autre Je qui nous traverse, nous déchire et finalement nous maintient aussi en vie.

Damien Sausset, Critique d’art et Directeur du Centre d’Art «Transpalette» de Bourges
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  • Pupa Neumann