Drawing Dialogue
Exposition
Drawing Dialogue
Passé : 13 avril → 11 mai 2019
Lorsque William S. Burroughs reçoit Philip Taaffe en février 1987, le premier a 73 ans et n’a rien perdu de ses élégantes habitudes vestimentaires ni de sa passion pour les drogues, tandis que le second est un peintre prometteur de 31 ans, dans la fleur de l’âge et auréolé d’une récente gloire.
A l’occasion de leur rencontre à Lawrence (Kansas), où Burroughs est établi depuis 1982, les deux artistes réalisent ensemble une série de dessins collaboratifs et divers tirs sur pots de peintures et contreplaqué. Ce projet rappelle à Burroughs la joie qu’il avait ressentie, cinq ans auparavant, en réalisant ses premières « peintures au fusil de chasse ».
Les mois précédant cette rencontre, Burroughs a traversé des moments difficiles, particulièrement la perte de son ami Brion Gysin durant l’été 1986 à Paris. Pendant longtemps, Burroughs s’était inquiété de ce que sa notoriété pourrait faire de l’ombre à celle de Gysin et pour cette raison s’était empêché de montrer sa peinture; à Brion le domaine visuel, à William le champ littéraire. À la mort de son ami, Burroughs s’est remis à peindre. Ainsi, lorsqu’il a rencontré Philip Taaffe, il était plongé dans une activité créatrice très prolifique. Par ce biais, il se sentait communier avec l’esprit de Gysin et découvrait dans cette pratique d’atelier une sorte de guérison.
Taaffe se situe également à un moment charnière, comme le souligne à l’époque Roberta Smith dans le New York Times (March 27, 1987) : « M. Taaffe s’est fait un nom en refaisant les peintures d’artistes abstraits plus âgés que lui, Bridget Riley puis Barnett Newman, au moyen d’un assemblage très original de peinture et d’impression. […] Aujourd’hui, il semble que M. Taaffe s’éloigne de ces emprunts flagrants, produisant des images qui, à la surface du moins, ont l’air d’être plus de sa composition. » Burroughs a toujours encouragé les collaborations artistiques, persuadé qu’elles produisent une synthèse créative des personnalités en présence, le résultat qu’1+1=3, aussi qualifié de « Third Mind ». Burroughs et Taaffe partagent tous les deux une attirance pour l’Afrique du Nord, le goût de l’art islamique, mais surtout une croyance en la force ésotérique des formes, même si l’aîné l’approche par l’action painting et le cadet par une rythmique des formes très contrôlée. Burroughs serait dans un état d’exaltation proche de la transe tandis que Taaffe serait habité par une méditation introspective, concentrée autour de la répétition de mantras. Il n’empêche, les deux consument leurs œuvres au même feu mystique. La peinture de Burroughs est opérante, c’est-à-dire qu’elle se charge de sens et de messages prophétiques à celui qui accepte de franchir le point d’entrée. L’un de ses crédos est « Let the picture look at you ». S’abîmant dans la contemplation dans et à travers la peinture, il est le premier ébloui par les surgissements de figures dans ses abstractions, attentif aux accidents de simultanéité. Taaffe, de son côté, illustre la stratification sémantique avec des moyens picturaux : il procède par composition minutieuse de formes porteuses de sens, répétées, superposées, insérées les unes dans les autres, à la manière d’un code crypté.
Les dessins issus de leur collaboration sont à la jonction des manières de chacun des artistes : plus composés et rythmés que les dessins habituels de Burroughs, plus expressionnistes que ceux de Taaffe, ils sont vraiment l’œuvre du « Third Mind ». La conversation enregistrée lors des séances de peintures à deux est révélatrice du processus mis en place lors de cette collaboration. Il se situe quelque part assez près de la dimension « pragmatique » ou « performative » du langage théorisé par John L. Austin dans How to do things with words (1962). Burroughs et Taaffe mettent en place une surface de projection — le papier à dessin — qui leur permet d’échanger leurs impressions, leurs désirs, leurs visions. Leurs énoncés ont des effets sur les dessins en train de se faire, le verbe donne chair à leurs visions, dégage les formes d’un magma d’encre, et remonte à la surface d’un Madagascar Landscape ou d’un Venusian Brothel. Ces échanges constituent, en ce sens, des « performances », et pas seulement des constatations.
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Philip Taaffe: You want to work on this? William S. Burroughs: No, don’t work on it consciously. Just—spill out over there, no. First things… PT: Look at this going on here. I like this opening here. Oh, this is really omnidirectional. I don’t see this one as having any particular… […] WSB: I’ve got an idea. This is a painting of a nuclear weapon. Many spirals. Magnetic spirals.
PT: Great! Magnetic spirals.
WSB: It will make you want to look at them. There is a left-handed spiral, and then we’ll do a right-handed one. Look down there. Looks like some strange sexual position.
[…] PT: What do you think about the spirals in Van Gogh’s painting, Bill? WSB: Yes, there’s obviously some power in spirals.
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
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Programme de ce lieu
Les artistes
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William S. Burroughs
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Philip Taaffe