Elle rit — Une exposition Lab’Bel au Palais de Tokyo

Exposition

Techniques mixtes

Elle rit
Une exposition Lab’Bel au Palais de Tokyo

Passé : 26 novembre → 26 décembre 2021

Lab bel art contemporain 13 grid Elle rit ! — Palais de Tokyo Riche d'une trentaine d'oeuvres, l'exposition fait résonner les problématiques inhérentes au sujet de la marque Vache qui rit qui, abordées frontalement, dévoilent des directions de réflexion passionnantes.

Le Palais de Tokyo accueille une exposition réalisée dans le contexte du centième anniversaire de La Vache qui rit rassemblant des œuvres de Thomas Bayrle, Mel Bochner, Daniel Buren, Wim Delvoye, Hans-Peter Feldmann, Jonathan Monk, Karin Sander et Rosemarie Trockel.

En prenant pour exemple le travail des huit artistes qui ont collaboré depuis 2014 au projet de la Boîte Collector La Vache qui rit, l’exposition interroge notre rapport à l’art contemporain et les approches ambivalentes qu’il peut engendrer en fonction de ses contextes de production et de présentation.

Lancé en 2014 par Lab’Bel, Le Laboratoire artistique du Groupe Bel créé quatre ans plus tôt, le projet de la Boîte Collector avait à l’origine pour ambition d’accompagner et d’annoncer le centenaire de La Vache qui rit en 2021 en invitant chaque automne un artiste à utiliser le support de la boîte pour créer une œuvre d’art de format imposé ; avec pour objectif de la diffuser auprès du grand public, par le biais de la grande distribution, pour mieux bousculer certaines idées reçues sur l’art contemporain et pour ambition de provoquer l’enthousiasme de certains au point de susciter chez eux une nouvelle vocation de collectionneur.

Commissaires : Laurent Fiévet et Silvia Guerra

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Mel Bochner, If/And/Either/Both (Or), 1998 — Huile et caséine sur toile — 28 toiles de 17,8 x 28 à 55,9 x 76,2 cm — Installation : 293 x 393 cm © FRAC Bourgogne

Elle rit ! par Silvia Guerra

Une exposition qui réunit huit artistes internationaux qui n’ont pas peur de s’associer à une marque populaire de l’industrie alimentaire est en soi un fait remarquable. On le sait, l’histoire de l’art est inséparable des commandes faites aux artistes. Au temps où les papes régnaient sur les représentations, un Caravaggio ou des peintres plus secrets comme Josefa d’Obidos leur devaient leur renommée. Depuis, les supports et les problématiques ont changé. Nous voilà avec une boîte ronde divisée en 24 portions de fromage.

Il y a toujours une certaine gêne à l’idée d’associer l’art à son circuit commercial, surtout quand on descend au royaume du produit alimentaire. Pourtant Andy Warhol nous a donné une bonne leçon en la matière. La série est au cœur de l’industrie, et c’est précisément sur cette notion que travaille le Laboratoire Artistique du Groupe Bel depuis dix ans. Et la rencontre de l’art avec l’industrie fait partie de l’image de marque dès l’origine, Benjamin Rabier est l’inventeur de son graphisme devenu iconique. En 2021, nous célébrons le centenaire du vénérable ruminant — et je ne peux m’empêcher de penser que les artistes allemands de notre série se réjouissent que la reine des prés ne soit pas une Valkyrie.

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Jonathan Monk, All the possible combinations of eight legs kicking I, 2013, vue d’installation à la galerie Nicolai Wallner, Copenhague, 2013 © Anders Sune Berg

Hans-Peter Feldmann a donné le ton en étant le premier artiste à lancer la série. Son mot d’ordre était « J’aime bien quand c’est simple » — et on sait combien il est difficile de l’être. Être au musée du Louvre, disait-il, ne l’intéressait pas autant que d’être au rayon frais d’un supermarché. Et il espérait que la boîte qu’il avait conçue serait achetée de préférence à l’habituelle. Il a gagné son pari, ses boîtes ont été vendues dans les hyper-marchés sans aucune indication de celui qui l’avait dessinée. Ceux qui l’ont choisie l’ont fait parce qu’ils appréciaient cette vache marron au nez rouge.

Depuis, les variations se sont enchaînées. Mel Bochner a détourné le sourire de Mona Lisa en la faisant éclater de rire. Jonathan Monk a inversé l’étiquette habituelle. Karin Sander l’a masquée derrière une trame en nid d’abeilles. Wim Delvoye, le plus grand collectionneur au monde d’étiquettes de La Vache qui rit, en a fait un album à collectionner. Thomas Bayrle a substitué à la vache le portrait de la laitière monté en vitrail, comme si elle était venue en ville visiter la cathédrale. Rosemarie Trockel a fait jouer en mosaïque un motif en V. Et Daniel Buren a été ravi de découvrir que la boîte ronde correspondait exactement à la largeur de sa bande rayée, 8,7 cm — il n’y a plus qu’à la poser au sommet d’une des colonnes des jardins du Palais Royal ! Tous sont des artistes conceptuels qui ont pris la boîte en carton et son support papier comme une petite sculpture portative.

Les réunir au Palais de Tokyo célèbre un siècle de langage artistique au cours duquel les œuvres tant muséales que domestiques ont opéré un grand déplacement de notre regard sur l’art.

L’exposition célèbre un anniversaire, mais elle s’ancre aussi bien dans le moment présent.

En 2021, les voyages ne peuvent plus être autant pris à la légère qu’ils l’étaient avant la pandémie. D’autant plus quand on imagine les millions de caisses manipulées au long de chaînes de transports complexes par d’innombrables mains que nous ne voyions pas. Ce sont ces voyages qui marquent les Mailed Paintings de Karin Sander, une commande passée pour cette exposition. Des toiles blanches ont été envoyées aux sites de production de la Vache qui rit à travers le monde. Contrairement aux contraintes qui pesaient sur les humains, elles ont pu traverser les frontières pour arriver jusqu’au Palais.

Au fond, toutes les œuvres viennent de loin. Et bouleversent les dimensions.

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Hans-Peter Feldmann, Frau mit Lippenstift (gross) [Woman with lipstick (big)], 2016 — 74 x 63 x 7 cm © Galerie Mehdi Chouakri

Il y a celles qui nous viennent d’un passé récent, comme les Raincoats de Thomas Bayrle, créés dans les années 1960 et encore possiblement portés de nos jours. Ou celle qui entre par magie dans l’espace d’exposition. C’est le cas de Till the Cows Come Home, de Rosemarie Trockel, un monochrome de 3×3 mètres qui ne pouvait passer les portes. Mais comme il est fait de laine, on a pu le déplier pour le faire entrer dans la salle. La pièce de Jonathan Monk bouscule également notre perception avec des jambes qui jouent un cancan métallisé en All the Possible Combinations of Eight Legs Kicking II et Thomas Bayrle nous rend un chef d’orchestre, Scheibenwischer (Dirigent) qui dirige la musique d’ameublement d’Eric Satie. Bienvenue au pays d’Alice. La performance presque invisible de Jonathan Monk, Speaking about the past, speaking about the future activée par deux performeurs présents dans l’espace de l’exposition aiguise notre écoute entre passé et futur. Avec ses timbres, Hans-Peter Feldmann invite à relire l’histoire de l’art à travers une paire de jumelles. Les pneus de Wim Delvoye qui sentent presque encore le bitume sont des bijoux extraordinaires. L’échelle du monde selon Mel Bochner n’est pas celle des atlas dans If/And/Either/Both (Or), et Thomas Bayrle continue à se raser tous les jours .

Ils sont tous là, réunis dans cet espace où il existe une porte et une terrasse, dans cette terrasse une balançoire, il faut s’y assoir et tourner le dos pour voir la tour Eiffel. Écoutons l’histoire : il était une fois une Vache qui rit….

Mais pourquoi ? De nous ? De ce que nous ne voyons pas ?

Silvia Guerra

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