Elle rit ! — Palais de Tokyo
Riche d’une trentaine d’œuvres, l’exposition fait résonner les problématiques inhérentes au sujet de la marque Vache qui rit qui, abordées frontalement, dévoilent des directions de réflexion passionnantes.
Quand Wim Delvoye opère de fines ciselures sur de banals pneus qui apposent une marque de préciosité sur l’objet d’usine, le produit devient lui-même motif et crée la forme, à l’image du robot aux yeux d’enceintes de Thomas Bayrle, faisant de l’objet industriel usiné un « dirigeant » qui donne le rythme. Empruntant un chemin inverse, qui n’a pourtant rien de contradictoire, Hans-Peter Feldmann maquille des peintures classiques traditionnelles en leur y apposant les artifices du carnaval. Autant d’exemples de cet esprit de décalage qui traverse un parcours exploitant avec une certaine aisance l’espace compliqué de l’étage supérieur du Palais de Tokyo.
Une vraie joie se dégage alors de cette association qui sait également prendre à rebours les émotions. Derrière le ludique et l’amusement pointe une bizarrerie qui traduit l’humeur d’un siècle attaché à contempler les excès de son temps et penser les moyens de les cicatriser. Car au-delà de toute référence au carnaval, c’est le corps dominé qui est en jeu. Et la prégnance de l’organique, la multiplication des matières, des jeux d’attirance et de répulsion sensuels témoignent tout autant de sa fragilité que des moyens de la surmonter. Derrière les grilles de Karin Sander, face à l’armée de french cancan mécanisé, le regardeur s’expose à son tour et perçoit, dans cette somme d’inventions, l’étrangeté fondamentale d’une concrétisation de l’imaginaire.
Une vache rouge, pour rassurante que soit devenue l’icone, quand l’on sait le sentiment que procure le fait de retrouver l’emballage familier à l’autre bout du monde, n’a pourtant rien d’évident. Ce sont alors les obsessions enfantines (l’urgence et l’avidité de la collection avec l’étalage de timbres postaux de Hans-Peter Feldmann), ses inquiétudes (le mystère des lettres et colis postaux disparus, l’étrange et incompréhensible agencement des bulles d’air formant une simple tranche de pain maximisée, deux œuvres de Karin Sander), ses inventions (l’empilement “le plus haut possible” de boîtes réalisé par Daniel Buren) et ses terreurs avec la figure du clown qui font dévier ce parcours vers une bizarrerie et une bonhommie contondantes. Ce sont aussi les questions des adultes, notre rapport à la reproduction, à ce qui reste, ce qui se répète et ce qui se meut dans notre réalité qui émergent ; que charrie avec elle l’expérience gustative d’un produit standardisé, témoin fixe et immuable face à l’amoncellement de souvenirs qui l’accompagnent ?
L’exposition n’hésite pas alors à jouer de l’ambiguïté de son statut pour mettre en valeur un art de la transgression heureuse et une espièglerie pensive, transformant la familiarité de l’image, la multitude d’attendus autour d’une figure connue comme point de départ de nouvelles réflexions à l’effet vertige. Et pourtant, au fond de l’image et répétable jusqu’à l’infini, elle rit.