
Adriano Costa — Galerie Mendes Wood DM, Paris
Radical, libre et traversé par une vibrante fragilité, l’œuvre de l’artiste brésilien Adriano Costa (1975) déploie toute sa complexité sur les cimaises vivantes de la galerie Mendes Wood DM. S’y affirme un art dont la fébrilité et la frontalité se conjuguent, un art loin de jouer la seule provocation du bon goût renvoyé à ses (chères) études mais interroge en profondeur les fondements mêmes du geste artistique.
Chez Adriano Costa, la création ne vise pas l’objet fini, mais le moment suspendu où le faire surgit — ce point où l’intention se mesure à l’aléatoire, où l’art prend racine dans l’existence même, avec ses rebuts, ses fragments, sa beauté inattendue. Car tout, selon lui, est animal, tout vit. Et c’est là peut-être que réside la puissance discrète mais tenace cette présentation Sweet : offrir à la matière, aussi humble soit-elle, le pouvoir de soutenir notre regard.
Les matériaux pauvres, les objets trouvés, les étoffes usées, les structures disjointes — tout semble d’abord obéir à une logique de dépouillement. Mais derrière le minimalisme apparent, une véritable science de la composition s’élabore. Spatiale, d’abord : les œuvres forment un parcours où chaque courbe, chaque tension, chaque vide contribue à une cartographie sensible de l’espace, dont le point d’ancrage — magnétique — se révèle dans un mobile monumental, fragile et souverain à la fois. Rythmique, ensuite : le regard est guidé par une scansion d’intensités, une alternance entre charges et relâchements visuels, textures denses et lignes ténues. L’exposition ne se livre dans une suite d’élans contrariés, de perspectives interrompues, de zones cachées qui déjouent la circularité attendue de la visite. De circularité, il est question, par le rebond, au sein même des œuvres.
C’est dans cette structure dissonante et pourtant cohérente que réside sans doute l’une des forces les plus profondes de l’œuvre d’Adriano Costa. En ralentissant notre perception, en nous forçant à abandonner les automatismes de la contemplation, l’artiste réhabilite un temps long, une manière d’appréhender le monde en se laissant traverser par lui. À la manière d’un poète concret, Costa collecte les signes les plus infimes du quotidien pour en faire surgir une langue plastique dont l’économie de moyens n’est jamais synonyme de vacuité, mais au contraire, d’intensité.
Disséminées par touches, les notes du pinceau invisible et joyeux de l’artiste tracent des espèces d’espace en lieu et place de motifs, des souffles (voire des soupirs) de matière pour toute figure. Dans l’immanence du trivial, dans la poussière des objets, dans l’appréhension du rejet, les ouvres opèrent une transformation, presque rituelle, du spectateur. Car il s’agit bien ici de vivre une expérience : celle d’un monde déhiérarchisé, d’une esthétique de l’altérité, où chaque fragment devient une énigme offerte, et chaque association une invitation à décaler notre le jugement. Un désarmement poétique qui fait écho à sa démarche artistique, comme nourrie d’une langueur pour éclater, par fulgurances, au gré d’associations dont la réalisation, économe en énergie et en technique, reflète le temps passé par l’élément au rebut.
Pour finalement subir la décision de l’artiste qui le charge de sa propre vision et révèle, dans sa persévérance, dans son exposition au coté de ses congénères, une furieuse magie de l’art à conférer à la chose la vertu d’un miroir capable de nous renvoyer notre propre regard, dépouillé de son jugement de valeur, seulement curieux de découvrir l’association suivante et, de la sorte, déjà définitivement transformé pour le meilleur ; à l’accueil de l’altérité.
Adriano Costa, Sweet — Galerie Mendes Wood DM, Paris, 25 place des Vosges, 75004 Paris, 28 juin 09 août, 2025