
Naoki Sutter-Shudo — Galerie Crèvecœur
Naoki Sutter-Shudo présente à la galerie Crèvecœur une exposition réjouissante de sculptures aussi énigmatiques que familières où la tension entre douceur et rudesse, entre précision artisanale et étrangeté poétique fait de chaque matière la nuance d’une rêverie propre.
L’ensemble se déploie aussi librement dans l’espace que l’absence de ponctuation de son titre, Le sol l’humeur le ciel et les murs : ses angles aigus, ses silhouettes contondantes et ses reflets glacés de métaux lourds, dont la précision, la finesse des techniques d’assemblage et l’ornementation confèrent une autorité insolente, mettent la logique à l’épreuve.
Chaque œuvre porte sa propre fonction, et donc son propre équilibre, dans cet herbier technique aux confins de la rationalité, où la douceur d’un laquage vient contrebalancer la frugalité des angles droits, où la menace des formes contondantes se conjugue à la sensualité de sphères pleines et brillantes, où l’apparente solidité de visseries tranche avec une frêle extrémité. Une poésie des contraires et des matières, qui, au-delà d’une consistance à l’incongruité convaincante, témoigne d’une attention à la forme que seul le temps peut révéler. Un temps à la progression différenciée, où la formalisation de la sculpture tiendrait en elle-même la confrontation aux éléments — mais aussi aux lectures, aux modes et aux esthétiques. Les œuvres construisent un territoire mental où chaque volume suggère un récit, une fonction détournée, une logique parallèle.
Comme émergés à la faveur d’une vision fugace, ces assemblages semblent pourtant parfaitement armés pour se confronter à l’épreuve de leur utilisation, prêts à être battus par le temps autant que par les éléments. D’intérieur, on se projette à l’extérieur avec les structures à déposer sur des bancs, de l’immobilité on se prépare à une manipulation à venir.
En cela les œuvres de Sutter-Shudo dépassent leur modèle d’outil pour se donner presque comme des inventions architecturales à investir dans la durée. Et s’imposent ainsi comme des entités absolument singulières, dont la composition — si elle parle du présent et du passé à travers l’utilisation d’éléments de récupération — s’inscrit d’emblée dans un futur.
Leur fonctionnalité, lisible ou non, est déjà vouée à s’effacer derrière la présence pure de l’objet, laissant planer, à travers l’absence d’évidence, le fantôme d’une histoire dont la véracité aléatoire n’altère pas la réalité de sa révélation : exquise et « surfonctionnelle ».
Naoki Sutter-Shudo, Le sol l’humeur le ciel et les murs, Crèvecœur, Paris, 5 & 7 rue de Beaune, Paris 06.06.25 — 26.07.25