
Richard Woods — Semiose, Paris
À la galerie Semiose, Richard Woods joue du contraste et des matières pour nous faire glisser à travers différents niveaux de réalité. Célébrant la simplicité — voire la rusticité — d’une pratique artistique qui allie plaisir et utilitaire, Woods expose un display terriblement séduisant, qui déjoue les registres de la création et nous laisse sidérés face à la naissance d’un monde que l’on pourrait bien adopter. Couleurs, matières, motifs : tout nous parle et tout nous projette dans l’ailleurs.
Si l’on apprécie en général le contre-pied qu’il impose à la normalité en y érigeant des structures architecturales — cabanons, maisons, intérieurs, piscines — aux codes esthétiques issus de l’illustration, il inscrit dans l’infinie nuance du réel une affirmation stimulante de l’évidence imaginaire, une réduction fantaisiste aux allures de farce brute. Comment ne pas penser, au-delà de la figure tutélaire assumée de Franz West, au décalage d’un Roger Hargreaves ou à l’essentialisation radicale d’un Dubuffet ? Son utilisation du white cube à la galerie Semiose se fait à nouveau particulièrement inventive : elle accumule dans l’espace formes et signes pour inventer un paysage vivant. Un paysage qui ne se limite pas à sa seule monstration, mais semble destiné à prolonger son existence. Car réaliser une étagère est avant tout, pour l’artiste, une amorce de dialogue — avec qui l’adoptera, avec l’espace qu’elle investira, avec la fonction (si tel est le cas) qu’elle endossera.
En cela, Woods déploie une fois encore un art de la radicalité et du partage, une réflexion sur la valeur de l’objet, de l’œuvre, du travail, qui ne perd jamais de vue l’étendue des lectures qu’ils appellent. Il englobe dans son sillage l’intégralité de leurs fonctions, de la plus mondaine à la plus contemplative, offrant par là sa synthèse la plus absolue.
Il y a dans son geste une manière d’ouvrir une faille dans le monde sans y imposer pour autant un ordre — une politesse du vertige, pourrait-on dire. Cette différence absolue crée une rupture avec tout ce qui l’entoure, mais ne le rejette en aucun cas : elle cohabite, béante et sidérante, glissant comme lui-même l’évoque, un amical « bonjour » au monde qui l’accueillera. En toute simplicité, dévoilant, au plus près, ses irrégularités nouvelles qui n’ont plus rien de naturel (coulure de vernis, trace d’usure).
Comme le mur dressé face au bureau de Bartleby dans la nouvelle d’Herman Melville, les étagères de Woods font écran à la richesse du réel tout en imprimant sur lui un motif qui désobéit à la logique de la matière et lui oppose une évasion par le regard, un déséquilibre intérieur, et fertile.