Evi Keller — Stèles

Exposition

Nouveaux médias, peinture, photographie, sculpture...

Evi Keller
Stèles

Passé : 21 avril → 17 juillet 2021

L’art commence par la transmutation et continue par la métamorphose.
Henri Focillon

Pierre dressée au bord d’un chemin, monolithe funéraire ou pièce de bois votive, la stèle possède la beauté d’une page d’écriture, l’énigmatique présence d’une rencontre décisive ; c’est aussi une étoile, dit le latin.

Les stèles d’Evi Keller sont les fragments lumineux d’un Tout en perpétuel devenir, Matière-Lumière, véritable œuvre-monde. Depuis plusieurs années, l’artiste œuvre en solitaire, semblable à ces moines anachorètes méditant dans les replis d’une grotte, tout entière vouée à cette œuvre au long cours qu’est Matière-Lumière. Empruntant le chemin de quelques aînés, Joseph Beuys, Mark Tobey (on croirait aussi entrapercevoir les Otages de Fautrier, telle peinture de Sam Francis), Evi Keller transforme magiquement les matériaux extérieurs en substances propres, elle rassemble les pièces éparses d’un monde diffracté, l’infiniment petit et l’infiniment grand.

Avec elle, l’art n’est plus un jeu, une provocation ni une performance, il renoue avec une pratique ancienne, la transmutation des éléments. L’artiste qui s’engage profondément dans les arcanes de la Création, disait Henri Focillon, « se construit une physique et une minéralogie, il est d’abord artisan et alchimiste, il a les paumes noires et déchirées, à force de se mesurer avec ce qui pèse et ce qui brûle ». Assurément, les œuvres d’Evi Keller relèvent de la peinture, de la photographie, de la sculpture, de la vidéo, mais elles n’appartiennent à aucun genre connu. Ces pièces saturniennes et solaires sont avant tout des morceaux de matière transfigurée par la lumière, le vil plomb changé en or.

Des civilisations ancestrales — babyloniennes, assyriennes, chinoises — Evi Keller retrouve ici la fonction sacrale du seuil et du passage. Instituer le sacré c’est d’abord définir une limite, établir un espace de transition (porte, colonne, arche, péristyle), s’enquérir de lieux sensibles où s’éprouve l’influx des choses et des êtres. Evi Keller dresse des stèles sur notre route et nous invite à pénétrer dans un autre espace, un autre temps.

Rapprochez-vous : ce sont des mondes en miniatures et en fusion ; brindilles, écorces, ossements, toiles d’araignée, traits d’un visage, trouées d’étoiles. Ces surfaces vivantes et vibrantes évoquent parfois les encres cosmiques de Victor Hugo, plus sûrement encore le mur de taches d’humidité et de pierres colorées que Léonard de Vinci préconisait au peintre de contempler pour y voir apparaître toutes les figures possibles, scènes de batailles, fleuves, arbres, montagnes…
Lorsqu’il découvre la forêt des stèles de Xi’an, Victor Segalen reconnaît l’œuvre de la civilisation Han dans ces pièces de bois dressées de part et d’autre de la fosse pour permettre l’inhumation d’un cercueil. Mille ans auparavant, les stèles étaient des poteaux sacrificatoires en pierre, également destinés à mesurer avec le passage de l’ombre le moment du soleil. Non point la lumière extérieure, mais la révolution d’une lumière intérieure, l’« astre est intime et l’instant perpétuel » écrivait Segalen.

Les stèles d’Evi Keller rejoignent aussi, dans une même quête mémorielle, les fascinantes lamelles d’or orphique avec lesquelles elles possèdent de surprenantes affinités. Car dans la tombe des initiés de la Grèce ancienne se trouvaient de délicates petites feuilles d’or gravées, pliées en deux, comportant des instructions pour le voyage dans l’au-delà. À déchiffrer les textes incisés sur la matière, il est question de la source Mnémosyne à laquelle doivent s’abreuver les âmes en partance. Sur une lamelle du IIIe siècle avant J.-C., découverte en Crète, ces quelques lignes, poème secret de l’âme :

Je brûle de soif et je défaille : donnez-moi donc
à boire l’eau de la source qui coule pérenne, à
droite, là où est le cyprès. — Qui es-tu ?
D’où viens-tu ? — Je suis le fils de la Terre et
du Ciel étoilé.

Sur ces stèles — pages brûlantes gagnées par un feu intérieur, fines couches de glace bleuie, où il arrive qu’une tache de sang noircisse — Evi Keller écrit la mémoire des éléments primordiaux, l’eau des sources et des fleuves, le feu souterrain, la terre des forêts, l’air du ciel. Cette mémoire relie notre corps d’eau et de carbone aux plus lointaines étoiles de la galaxie.

C’est un voyage ancien qui ne fait pourtant que commencer.

Olivier Schefer1

La galerie est heureuse de présenter la seconde exposition personnelle de l’artiste plasticienne allemande Evi Keller, dont l’œuvre interroge le principe cosmique de la transformation de la matière par la lumière.

Les empreintes de l’instant [sculptures, peintures, photographies, vidéos, sons et performances] révèlent un processus de substantialisation, qui s’incarne et se transfigure progressivement dans des installations que l’artiste désigne espaces de transition. Le cheminement à travers ces espaces a guidé l’artiste vers des créations Matière-Lumière témoignant de l’anthropocène. Constituées du carbone né dans les étoiles, noyau essentiel de toute matière vivante et recyclé par l’homme, ces œuvres sont animées et transmutées par absorption, transmission et réflexion en des matières changeantes dans l’interaction avec le spectateur. Par un processus alchimique, Evi Keller transfigure ainsi la mémoire de centaines de millions d’années en œuvres d’art.

L’artiste dévoile, pour la première fois, Matière-Lumière lors de la Nuit Blanche 2014 à Paris. Dès le début de l’année 2015, la galerie organise sa première exposition personnelle d’envergure de mai à septembre 2015 et une présentation de ses œuvres au sein d’expositions en France et à l’international, et lors de foires telles que la FIAC, Art Dubai, Art Brussels. La même année, la Maison Européenne de la Photographie expose les photographies et l’œuvre audiovisuelle Matière-Lumière [Towards the light-silent transformations] qui intègre alors la collection d’art vidéo de l’institution. Une conférence est consacrée aux regards croisés portés sur les œuvres de Joseph Mallord, William Turner et Evi Keller à l’occasion du Cycle Les Lumières de la Vie organisé par l’Université Paris Diderot.

Lors de la cérémonie de clôture de l’Année de la Lumière à l’Hôtel de Ville de Paris en février 2015, l’artiste est invitée à projeter une œuvre audiovisuelle à l’issue de la conférence d’Hubert Reeves Redonner le ciel aux gens. L’année suivante, une installation Matière-Lumière est présentée à la Centrale for contemporary art à Bruxelles (exposition Connected_, du réel au virtuel, mars-août 2016). Dans le cadre de l’exposition de ses œuvres au Musée des Arts Décoratifs (_Le Contemporain Dessiné de mars à juin 2016) se tient la conférence La matière au delà du visible autour de Jean Dubuffet et Evi Keller. En 2017, la philosophe et commissaire d’exposition Joke Hermsen choisit des œuvres clés d’Evi Keller pour l’exposition Château Kairos au Château de Gaasbeek en Belgique (avril- juin 2017), aux côtés de Nicolas de Staël, Dani Karavan, Georgia Russell, Anri Sala, Hans Op de Beeck, Pipilotti Rist, Chiharu Shiota, Otobong Nkanga, Antony Gormley et Susumu Shingu. L’artiste participe également à l’exposition Passion de l’art — Galerie Jeanne Bucher Jaeger depuis 1925 au Musée Granet d’Aix-en-Provence (juin-septembre 2017), aux côtés notamment de Paul Klee, Vassily Kandinsky, Alberto Giacometti, Max Ernst, Nicolas de Staël, Mark Tobey et Jean Dubuffet.

Tout au long de ces dernières années, l’artiste a nourri par ailleurs des collaborations régulières avec des danseurs et des musiciens contemporains.

Au cours de l’année 2018, Evi Keller choisit de se consacrer entièrement à la création d’une installation monumentale, la Performance/Matière/Lumière, notamment présentée lors de la Nuit Blanche 2019 à l’Église Saint-Eustache. Dans un rituel d’initiation au sens tribal, l’artiste accueille le spectateur au cœur de l’expérience intime et personnelle des visions multiples de la transmutation de la matière par la lumière. Lumière, spectateur et artiste interagissent dans un espace de transition pour vivre en un instant quelques milliards d’années.

1 Olivier Schefer est écrivain et philosophe, il enseigne l’Esthétique à l’Université Paris 1 Sorbonne.
Traducteur et interprète de l’œuvre de Novalis, il voue sa recherche aux résonances artistiques et spirituelles du Romantisme allemand.

  • Vernissage Samedi 20 mars 2021
03 Le Marais Zoom in 03 Le Marais Zoom out

5 rue de Saintonge

75003 Paris

T. 01 42 72 60 42 — F. 01 42 72 60 49

www.jeannebucherjaeger.com

Saint-Sébastien – Froissart

Horaires

Du mardi au samedi de 10h à 19h

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