Jean-Pierre Bertrand — Six Fois Shem en Deux
Exposition
Jean-Pierre Bertrand
Six Fois Shem en Deux
Passé : 8 septembre → 6 octobre 2012
Quand Jean-Pierre Bertrand évoque au sein de son travail la subsistance d’un corps ancien, il fait d’abord référence à l’incarnation de survivances immémoriales : une statuette égyptienne habitée par l’être qu’elle figure et qui s’exprime par la voix de l’artiste dans le film Samout et Moutnefret, 7 ans avant l’an 2000 (1993-2008) ; des mixtures dont il imprègne son papier comme pour le nourrir de substances embaumantes ou reconstituantes. Le papier sel devient minéralisé. Le papier citron, végétalisé. Le papier miel, animalisé, et souvent peint d’un rouge décrit en termes sanguins : plasmique ou coagulant. Il ne faut pas cependant s’arrêter à cette corporéité mystique du corps ancien, qui désignerait plus fondamentalement la préexistence d’un ordre structurant. Le planted garden, cette parcelle de son île qui semblait à Robinson Crusoé « si tempérée, si verte, si fleurie […] qu’on l’aurait prise pour un jardin artificiel » relève de ces espaces accomplis (réglés d’avance) auxquels se réfère souvent l’artiste. De même, Jean-Pierre Bertrand n’envisage pas l’accrochage de ses ensembles comme une négociation spatiale a posteriori, mais plutôt comme l’accomplissement d’une équation latente, que manifeste temporairement l’exposition.
La formule du titre Six Fois Shem en Deux peut s’énoncer comme la répartition en deux espaces de six manifestations d’un shem unique — format présent dans le travail de l’artiste depuis quelques années et qu’il décrit en termes simples : des
« plaques de plexiglas peintes de couleur parchemin, qui laissent apparaître des bandes horizontales colorées, or, rouge et brun »
Trinité chromatique qu’il définit parfois comme les trois états d’un sang « oréfié », vif et coagulé. Les formats du grand fond et des plaques qui y affleurent sont invariants, leurs coordonnées sont fixes et leurs rapports, déterminés ; seules leurs occurrences varient. Une fois leur partition générale mémorisée, on ressent que d’un shem à l’autre les variations internes s’annulent en se « dénonçant » : présences et absences se désignent mutuellement. Voilà pourquoi il n’y aurait en fait qu’un seul shem, dont les occurrences se coexisteraient dans leur totalité. En linguistique, ce type d’instance ordonnatrice s’appelle un schème : une structure organisatrice, elle-même organisée par les règles de combinaisons de ses constituants. Il y a donc entre shem et schème une correspondance qui dépasse la simple homophonie, puisque « shem », signifiant « nommer » en hébreu, dérive probablement de la racine primaire « suwm », « placer, ordonner, établir ». L’étymologie (sacrée) révèle ainsi la puissance édifiante du shem/schème qui fonde et désigne.
La logique syntaxique ou algébrique qui sous-tend le travail de l’artiste rejoint celle que décrit Wittgenstein : une logique dans laquelle rien n’est accidentel, car « si [on connaît] l’objet, [on connaît] aussi l’ensemble de ses possibilités d’occurrence dans des états de choses. » Dans le cas de Jean-Pierre Bertrand, l’objet en question serait ce corps ancien préexistant et survivant à l’œuvre, une disposition héritée d’un lieu utopique. Dans l’espace d’exposition, un miroir observe Six Fois Shem en Deux. Comme dans le film Playing Dice (1972) où trois dés sont indéfiniment lancés contre un miroir, il reflète sans les enregistrer les manifestations non du hasard, mais de la nécessité.
L’artiste
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Jean-Pierre Bertrand