Jesper Just

Exposition

Film

Jesper Just

Passé : 22 octobre 2011 → 5 février 2012

À l’automne 2011, alors que la capitale française fête la création artistique internationale, le musée d’art contemporain du Val-de-Marne, à Vitry-sur-Seine, crée l’événement avec la première exposition monographique dans une institution en France du Danois Jesper Just. Son commissaire, Frank Lamy, a invité ce jeune artiste à investir pendant quatre mois les salles d’expositions temporaires du musée en mettant en scène pas moins de six de ses films dont sa toute nouvelle production réalisée au cours de l’été à Paris, spécifiquement pour l’occasion. Au travers de son exposition « This Unknown Spectacle », qui est aussi le titre de son dernier film, Jesper Just propose au public du MAC/VAL une expérience artistique et cinématographique inédite. Par la qualité de l’éclairage, l’étrangeté des décors, l’absence d’une narration évidente et le refus de tout dialogue, ses films se transforment alors à leurs yeux en de captivants « poèmes visuels », en d’étranges tableaux en mouvement. Le parcours offert aux visiteurs, au travers de productions aussi fascinantes que troublantes, prend alors un caractère onirique propice à l’introspection. Les questions d’identité, de transgression sociale, d’humanité sont sans aucun doute au cœur de cette œuvre énigmatique, à l’esthétique raffinée et référentielle.

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Jesper Just, The Lonely Villa, 2004 Super 16mm, 4’30 Courtesy Galleri Christna Wilson, Copenhague / Perry Rubenstein Gallery, New York. © Jesper Just 2000-2006

Si les films de Jesper Just semblent bien avoir l’aspect du cinéma, il ne faut pas pour autant se laisser tromper par leur aspect séduisant. La beauté enivrante de ses images sature les écrans. Le moindre détail a son importance. En éliminant méticuleusement tout élément parasite, l’artiste crée des ambiances parfois dérangeantes. Prenant pour point de départ : un lieu, un parc, un bâtiment, une île … Il n’y a guère de story-board défini à l’avance — Jesper Just construit le scénario de son film au fur et à mesure. Avec obstination, il travaille d’abord la lumière. Puis, il la sculpte pour obtenir des images d’une beauté évanescente, ambigüe. Subitement, selon la même logique de changement de décor, il transporte le spectateur dans un « ailleurs » des plus inattendus.

Dans ses films, les histoires de rencontres, de culpabilité présentent une étonnante continuité mélodramatique en dépit des changements de décor et d’action. Pourquoi tel personnage se met-il à chanter ? Pourquoi celui-ci pleure-t-il ? En l’absence de définition d’une intrigue, en l’absence de caractérisation des personnages, les images ne livrent que la matérialité des affects qu’ils éprouvent. Parfois, l’atmosphère devient lourde au point que le spectateur a le sentiment d’être devenu un intrus en assistant à une scène à laquelle il n’aurait pas été convié. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’humour grinçant de l’artiste qui prend un malin plaisir à livrer une vision inattendue du monde qui bouscule les stéréotypes du désir.

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Jesper Just, A Voyage in Dwelling, 2008 Super 16mm reporté sur Blu-ray, 11’11 Courtesy Galerie Emmanuel Perrotin, Miami & Paris. Courtesy Victoria Miro Gallery. © Jesper Just, 2008

Parmi les films présentés dans l’exposition, It Will All End in Tears dépeint le sentiment amoureux, en partie mystique, entre deux hommes de deux générations différentes. Le premier des trois actes qui se déroulent à New York prend pour cadre un jardin brumeux asiatique où un homme erre à la recherche d’un jeune homme. Ce dernier entonne Only You tandis que son compagnon joue du tambour. Un gong retentit. Le jeune homme disparait laissant place à une pluie de pétales de roses. Le second acte fait référence à une citation de Jean Genet tirée du Miracle de la rose. Cette fois les protagonistes sont dans une salle de tribunal désert. Des hommes qui pourraient être des jurés se mettent à hurler de manière comique les paroles de la célèbre chanson de Cole Porter, I’ve Got You Under My Skin. Enfin le dernier acte prend place sur le toit des studios de cinéma Silver Cup de Brooklyn où l’on retrouve les deux hommes avant d’assister à un feu d’artifice illuminant l’horizon new-yorkais. Malgré des changements de décor et d’action qui pourraient paraître incompréhensibles, l’histoire de cette rencontre présente une étonnante continuité mélodramatique.

D’autres films semblent être plus réflexifs, tel A Vicious Undertow qui se construit autour d’un personnage féminin entre deux âges, qui siffle l’air de Night in White Satin dans un bar. La caméra glisse sur sa nuque, sa peau, ses lèvres avant de se tourner sur une seconde femme qui entonne le même air. Un homme se joint à elles. Dans une succession de plans rapides, la caméra saisit la femme qui danse la valse avec la jeune femme, puis l’homme, puis à nouveau avec la jeune femme… comme si celle-ci était en proie à une hallucination. Subitement, la femme se fige et se dirige vers la sortie avant de contempler une dernière fois, sur le seuil les deux autres personnages. Puis elle détourne le regard et change de décor. Propulsée en pleine nuit sur les marches d’un escalier sans fin, elle semble vouloir échapper à la mélancolie en se déplaçant dans un espace, hors du temps.

Jesper Just manipule avec bonheur « les clichés du cinéma » pour surprendre les spectateurs. Il les amène là où ils n’y s’y attendent pas. Avec This Unkown Spectacle il réussit un nouveau tour de force, en livrant des images d’un Paris d’une beauté sombre et troublante. En opérant une série de décalages, il entraîne le public dans des contrées inexplorées où la beauté des images génère un trouble saisissant.