Joanna Piotrowska — Entre nous

Exposition

Photographie

Joanna Piotrowska
Entre nous

Passé : 16 février → 21 mai 2023

Joanna piotrowska 1 1 grid Joanna Piotrowska — Le Bal À travers le jeu, la légèreté sensible du toucher et la familiarité de l’espace intime, Joanna Piotrowska renverse au Bal les certitudes et laisse émerger la possibilité du doute et de l’inquiétude en abordant, par le biais d’un noir & blanc d’une efficacité plastique redoutable, ce suspens qui enferme le corps et l’ambiguïté de sa libération.
Le point de vue de Slash :

À travers le jeu, la légèreté sensible du toucher et la familiarité de l’espace intime, Joanna Piotrowska renverse les certitudes et laisse émerger la possibilité du doute et de l’inquiétude en abordant, à travers un noir & blanc d’une efficacité plastique redoutable, ce suspens qui enferme le corps et l’ambiguité de sa libération. Les perspectives s’empilent et se conjuguent sans écrouler sous la masse symbolique cette monographie à la scénographie chaleureuse en prise directe avec ses sujets. Une exposition particulièrement réussie qui met en valeur autant qu’elle problématise avec une belle profondeur cet œuvre photographique qui laisse sourdre, dans l’immobilité et le silence, la potentielle violence qui menace jusque l’ordre intime des choses. G.B.

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Se confronter à l’œuvre de la jeune artiste polonaise Joanna Piotrowska invite inévitablement à faire l’expérience de la contrainte. De ses photographies ou vidéos se dégage une atmosphère d’enfermement, de violence sourde. S’y observent des corps sous tension aux postures artificielles mis en scène dans des intérieurs domestiques, des cabanes enfantines et précaires construites de toutes pièces par des adultes au sein de leurs propres maisons, des gestes contre des ennemis invisibles, mais aussi des cages de zoos désertées par leurs occupants. Autant de situations dans lesquelles l’expression corporelle se substitue à l’expression verbale.

Ce que le langage ne peut exprimer, Joanna Piotrowska le met volontairement en scène par des gestes et attitudes soigneusement composés, créant ainsi un nouvel alphabet corporel, insolite et grinçant.

Ainsi sa première série Frowst, réalisée à partir de 2014, reconstitue un étrange album de famille. Inspirée par les pratiques thérapeutiques de groupes, Joanna Piotrowska demande à des proches de poser en famille.

« Je voulais présenter ces gestes de telle manière que leurs connotations évidentes ne soient plus aussi limpides, pour montrer leur signification cachée et pour questionner leur statut. » Joanna Piotrowska

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Joanna Piotrowska, Sans titre, 2017 Tirage gélatino argentique — 95 × 120 cm © Joanna Piotrowska Courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne

Lieu potentiel de tendresse mais aussi d’emprise, d’émancipation et d’oppression, la famille agit ici comme un miroir de la société tout entière: les multiples systèmes de domination s’incarnent jusqu’à influer sur le mouvement des corps et leurs langages. Dans ces duos ou trios mis en scène, impossible de distinguer la part de réel et celle de fiction d’autant que l’artiste n’hésite pas à y convoquer tous les codes de la photographie documentaire. Ces images de corps étrangement entrelacés, où la ligne ténue entre étreinte et contrainte n’est plus si claire, font ressentir toute l’ambiguïté qui habite son œuvre.

Pour transcrire cette dualité, Joanna Piotrowska performe le réel. Elle photographie des structures édifiées par des adultes au sein de leurs propres maisons. Ces draps tendus, agrégats de chaises, de meubles, d’objets divers, ces abris de fortune sont-ils destinés à s’isoler du monde extérieur, à s’extraire de sa propre vie ? Inspirée des écrits de la psychologue féministe américaine Carol Gilligan et de manuels d’autodéfense, une autre série d’images se concentre quant à elle sur le corps des femmes. Ici, des ventres contractés, des bras et des jambes repliées, des poings tendus, des dos voutés, semblent lutter, se défendre contre une puissance hors champ. Ces corps contorsionnés, contre qui ou contre quoi se débattent-ils ? Ce caractère énigmatique est aussi présent dans la vidéo Little Sunshine, inspirée d’un jeu d’enfants dans lequel le gagnant est celui qui réussit à faire sourire en premier les autres participants.

« Il m’est important de passer de l’animal à l’humain, de l’humain au foyer, du foyer à la cage, de la cage au refuge, à la sécurité, à l’intimité, au toucher. Je navigue entre ces différents points de référence, tout en essayant de mettre au jour leurs ramifications. » Joanna Piotrowska

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Joanna Piotrowska, Sans titre, 2022 Tirage gélatino argentique — 130 × 160 cm © Joanna Piotrowska Courtesy Galerie Phillida Reid, Londres

Le regard de Joanna Piotrowska va ensuite s’arrêter sur des espaces de prime abord très éloignés de la sphère domestique. L’artiste photographie des cages ou enclos d’animaux dans des zoos, vidées de leurs habitants, et particulièrement les jouets et objets mis à leur disposition pour « enrichir » leur vie en captivité.

Ici la mise en scène des enclos modèle un espace calqué sur l’espace domestique humain (un coin pour dormir, pour se nourrir, pour jouer, etc.) et souligne un peu plus la dichotomie à l’œuvre entre protection et oppression.

Et comme tout semble être question de cadrage dans son travail, Joanna Piotrowska, dans sa plus récente série, présentée pour la première fois au BAL, pose un regard sur son propre passé, sa propre histoire. Découvrant les négatifs d’images prises par son père quelques années avant sa naissance, elle élabore un protocole s’appliquant à prélever, à l’aide d’un téléobjectif, des détails dans la matière photographique inscrite sur la pellicule. Comme dans le film Blow-up de Michelangelo Antonioni, des agrandissements d’objets semblent les indices, les marqueurs aux contours flous, de sa propre mémoire défaillante.

Se rencontrent, dans cette exploration de l’intime, les éléments humainement et socialement déterminants d’une époque. Si tout semble nous éloigner d’une œuvre réaliste, Joanna Piotrowska ne produit-elle pas, pour reprendre les mots de G. Lukacs, une « image relative, incomplète (…) effet de la vie elle-même, sous une forme rehaussée, intensifiée, plus vivante que dans la réalité » ?

Julie Héraut et Diane Dufour

18 Montmartre Zoom in 18 Montmartre Zoom out

6, impasse de la Défense

75018 Paris

T. 01 44 70 75 50

www.le-bal.fr

Place de Clichy

Horaires

Du mercredi au dimanche de midi à 19h
Nocturne les mercredis jusqu’à 20h
Fermeture de l’exposition à 18h les jours de BAL LAB

Tarifs

Plein tarif 8 € — Tarif réduit 6 €

L’artiste