Laura Lamiel — Un ange en filigrane

Exposition

Installations, photographie, techniques mixtes

Laura Lamiel
Un ange en filigrane

Passé : 9 février → 1 avril 2017

Laura lamiel marcelle alix paris 1 grid Laura Lamiel — Galerie Marcelle Alix Avec cette présentation délibérément restreinte de deux œuvres, la galerie Marcelle Alix fait le choix fort d’un dialogue immédiat ... 2 - Bien Critique

Dans le recueil « Printemps noir » d’Henry Miller publié en 1936, se trouve une courte nouvelle, « Je porte un ange en filigrane ! », que Laura Lamiel a annexé récemment à sa bibliothèque, par un heureux hasard. Ce texte a vite trouvé sa place dans nos dernières conversations autour des œuvres que nous souhaitions montrer aujourd’hui et fait le lien avec la fascinante série de « cellules », depuis la très souveraine « Figure IV » exposée à la galerie en 2012. Cette exposition est une totalité organisée de façon à inclure le dynamisme d’un processus créatif qui toujours trouve de nouvelles possibilités pour observer une réalité se faire et se défaire sans trêve.

Le texte de Miller raconte comme une suite de péripéties le processus de création, sous la forme d’une peu banale histoire de cheval, dessiné puis peint, qui méchamment tarde à apparaître. Je ne crois pas que Laura envisage la création comme Miller, c’est-à-dire comme une lutte. Là où il me semble les retrouver tous deux, c’est dans les mots de l’écrivain, teintés de pensée orientale : « une simple phrase peut contenir toutes les luttes d’une année ». Miller détestait effacer ce qu’il produisait, écrits ou peintures. Cet ange en filigrane qui traverse tout l’œuvre de Laura, et qu’elle aussi porte en elle, c’est une forme de création qui ne renonce jamais, absorbe tout et restitue l’essentiel. C’est une vision sans défaut qui rappelle qu’au fond, au fond de tout, perdu dans d’« incendiaires efforts », il y a le cheval.
À force de me trouver en présence de ces installations que l’artiste nomme « cellule » ou « chambre de capture », j’avais oublié que leurs noms parlaient de quelque chose qui est davantage visible si on parvient à en voir plusieurs de ces deux séries. Ces œuvres se reproduisent, tout comme les cellules que la définition associe à une petite unité. « Cellule de moine » ou « chambrette » sont les images qui se superposent à la réalité abstraite de la vie cellulaire, sa dimension cachée, là où les choses s’activent sans que cela ne se voie à l’œil nu. Les œuvres de Laura Lamiel cherchent à travers des matériaux stables à faire réapparaître un corps absent. Il est là ce corps, présent dans une structure qui l’invite et le redouble d’une certaine manière. L’acier peint et le cuivre sont de merveilleuses surfaces promptes à réfléchir le corps et ses humeurs. Face à l’œuvre, ce que je vois c’est l’adaptation formelle d’un espace mental, le genre de projection qui maintient le contact avec notre corps mobilisé par cet exercice qui consiste à voir. Lorsque je suis devant une cellule en acier peint mon corps me paraît léger et mon esprit encombré d’images et cela pendant un moment, puis plus rien. J’ai l’œil rincé. Avec le cuivre, c’est différent. Il a aussi une couleur et une température, mais il les porte vers nous, comme une adresse corporelle et charnelle. Le cuivre est une chair ou une peau, tour à tour rose ou roussie, légèrement froide ou empourprée, embrasée. Je me souviens d’une chaise en cuivre posée devant un panneau fait du même matériau et reposant sur le mur. Cette installation, réalisée pour la Verrière à Bruxelles en 2015, m’avait poussée à écrire à l’artiste en essayant d’expliquer ma fascination pour ce reflet dans le cuivre, terriblement puissant et en même temps défiant. Ce reflet était épais, dense, lourd. Le reflet de la chaise semblait dire: je suis plus qu’une chaise. Je suis « un ange qui tue le temps ». Je suis ce qui « déborde du cadre des idées » comme dirait Miller.

C’est curieux comme l’image dans le cuivre semble avoir pris du temps à se former, tout comme les innombrables touches de matière picturale qui permettent de saisir un sujet, de l’approcher à travers une matérialisation venue de la rencontre entre l’esprit qui cherche et le matériau excité par tous ces frottements et ces attentions si finement dirigées. Laura Lamiel a le don de choisir des matériaux qui semblent doués de conscience. Elle sait si bien les questionner et les transformer en acteurs. Cette cellule de cuivre que vous allez découvrir est l’image même d’une présence éclatante et nue de laquelle on n’ose véritablement s’approcher. Troublante vision que cet espace vide délimité par ces grandes plaques de cuivre tenues par des serre-joints. Les fines barres de cuivre qui dynamisent ce vide me font penser aux flèches des différentes représentations en peinture du Saint-Sébastien, si proches de la peau translucide du martyr et si peu bavardes, le plus souvent, lorsqu’il s’agit de montrer la rencontre entre l’objet-flèche et la chair. La rencontre a lieu comme dans la cellule de Laura sous le couvert d’un mystère. Regarder les grandes étendues de cuivre des pièces de Laura, c’est comme chercher à nommer une couleur devenue instable sous les assauts d’une longue fièvre, une couleur qui pourrait contenir toutes les autres.

Je repense à la cellule d’acier peint que nous avions présentée en 2012. C’était un espace en soi qui annulait celui de la galerie, le laissant vague et inactif. Le cuivre a quelque chose de plus habillé, on l’imagine davantage s’accorder avec les tons chauds du sol de la galerie. Je l’imagine boire comme de la mie de pain ce qui se trouve à ses côtés, en quelques éclats furtifs, de même que les ombres colorées des visiteurs à l’arrêt ou en mouvement. Le cuivre pourrait entrer dans les mythes de la peinture qui se soucient du vivant et de sa représentation, laissant les deux se baigner dans le même lac, devant lequel on peut s’amuser à tout séparer (eau, couleur, air, reflet, texture, surface, fond, etc.) ou tout mélanger, jusqu’au noir.

L’obscurité n’est jamais loin chez Laura Lamiel, le noir est souvent venu se déposer comme une poudre humide, une fumée boulottant les reflets glacés de l’acier peint ou encore de la suie venue d’un endroit où le travail se mesure aux kilos de poussière restante. Ce noir s’installe aussi grâce à la collection d’objets personnels que l’artiste intègre dans ses installations. Récemment, l’artiste en usait avec un plaisir sec pour créer au Musée des beaux-arts de Rennes une installation conçue en plusieurs étapes, permettant aux visiteurs de traverser des années de recherche. Cette installation en trois temps était accessible à un endroit de l’espace d’exposition qui, si on se trouvait dans la nature, serait celui où la lumière s’absente et où le chemin se rétrécit jusqu’à nous forcer à repartir en arrière. Une cellule toute blanche, une cinquantaine de dessins encadrés pour beaucoup entassés et non accessibles, des objets qui tournent sur eux-mêmes et une plaque de cuivre qui ramène devant nous ce à quoi nous tournons le dos. Nul doute que rien ne s’efface et que se racontent en une installation plusieurs années de « lutte », à moins que ce ne soit une vie de questionnements qui, comme chez Miller, reflètent anges et visions.

CB

Laura Lamiel vit à Paris. Ses œuvres ont récemment été montrées aux Ateliers de Rennes, Biennale d’art contemporain (cur. François Piron), à la Villa Vassilieff, Paris (cur. Mélanie Bouteloup et Virginie Bobin), à la Verrière, Bruxelles (cur. Guillaume Désanges), au Kunstverein Langenhagen (cur. Ursula Schöndeling), à La Galerie, centre d’art de Noisy-le-Sec (cur. Emilie Renard), au Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne (cur. Anne Tronche, dans le cadre du prix AICA), à la Biennale de Lyon (cur. Ralph Rugoff), au MAC/VAL, Vitry-sur-Seine (cur. Frank Lamy), à la Fondation Joan Miro, Barcelone et au Centre Pompidou, Paris. Laura Lamiel est aussi représentée par la galerie Silberkuppe à Berlin.

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