Laura Lamiel — Galerie Marcelle Alix
Avec cette présentation délibérément restreinte de deux œuvres, la galerie Marcelle Alix fait le choix fort d’un dialogue immédiat et percutant. L’exposition Un ange en filigrane de Laura Lamiel, présentée jusqu’au 1er avril, impose la présence de son œuvre Capture dans l’espace et confirme l’importance majeure d’une artiste qui a su, à travers l’effacement, la sobriété et la discrétion, composer un univers singulier et vibrant qui nous enjoint à nous confronter différemment au monde et au signe.
« Laura Lamiel — Un ange en filigrane », Galerie Marcelle Alix du 9 février au 1 avril 2017. En savoir plus L’œuvre de Laura Lamiel est une modulation de l’espace et partant, de la lumière. Ses installations simples, bien souvent matérialisées par un assemblage d’objets hétéroclites, rebuts ou formes élémentaires, perturbent l’ordre des lignes et les fonctions des éléments employés, dessinant avec la discrétion sourde des révolutions une attention minutieuse au réel. À travers son regard capable de saisir toute la force de l’objet, l’intérieur du monde devient décor, paysage qui ne demande qu’une légère pousse pour affirmer sa beauté et sa valeur esthétique. Par ses assemblages, elle configure des pauses, harmonies, dissonances, des rythmes visuels qui se révèlent en silence, qu’elle dispose en autant d’îlots constitutifs d’une narration ouverte. Ses agencements tiennent d’un travail d’observation ténu, d’essais et de répétitions jusqu’à capturer ce moment suspendu, cette composition à stabiliser. En ce sens, Laura Lamiel ausculte autant qu’elle sculpte l’espace. Ce dernier devient création , prend à contre-pied la tradition du décor pour affirmer, sans ornementation, la valeur du beau, son ordonnancement nouveau en une œuvre forte, loin des conventions de la tradition bourgeoise ou du faste de l’apparat nobiliaire. Ici, l’espace retient par son absence, voire son exclusion, le corps. C’est le paradoxe de cet œuvre qui rejette autant qu’elle s’aimante à l’autre, nécessaire pour la faire vivre mais menaçant perpétuellement ses conditions d’existence. Car tout, chez Laura Lamiel, semble renvoyer à la sensation au sens propre. Face à ses installations, notre corps est presque de trop, perturbant la gravité et la justesse de ces montages silencieux. Pour autant, ces derniers ne nous excluent pas, ils éveillent bien plutôt, dans son absence, sa conscience, cette position dans l’espace qui permet de faire se mouvoir l’image. Sous des dehors abstraits et minimalistes, ses travaux cachent ainsi une sensualité vivace qui passe par des voies inattendues. Elle compose avec finesse et dévotion des espaces de réflexion qui nous renvoient à notre étrangeté.À l’image de l’installation principale de l’exposition, Capture, constituée de trois plaques de cuivre maintenues entre elles à l’aide de serre-joints lui donnant des allures d’objet non fini, en voie de construction. Contre le mur, une quatrième plaque comme en attente, résultat de l’ouverture de cette cellule ou au contraire élément final, en attente de fermer cet espace éventré. La cellule, c’est ce qui contient le corps aussi bien que ce qui le constitue et vit de manière autonome. Il y a ainsi quelque chose de la force vitale dans cette installation qui fait se confondre les lignes et couleurs en cassant les angles, en usant de l’aléatoire et de l’ambiguïté pour dessiner une forme singulière. Au cœur de cette béance incertaine, des tiges de cuivre dessinent une gerbe qui vient répéter la force de ce matériau sensible qui, sous nos yeux, se fait charnel. L’une d’entre elles, fixée en hauteur, barre le vide. Au sol, des tubes luminescents sont reliés par un fil électrique noir qui dessine une traînée à cet étrange objet, troublant encore la possibilité d’un sens. En cela, l’œuvre semble n’avoir ni début ni fin, contenant en son sein des angles morts qui la font cacher ce qu’elle contient et annulent ses limites. Capture, par réflexion, se fond dans le décor en renvoyant l’image de la galerie mais en diffusant également sa propre couleur dans l’atmosphère jusqu’à en envelopper l’espace, un espace que l’artiste connaît bien et dont elle continue de mettre en valeur la belle spécificité avec une proposition simple et forte.
En parallèle, une photographie d’un ancien travail de l’artiste, Le Caisson, présenté au Musée de Grenoble en 2000, se voit réactualisée en étant disposée sur une vitre devant un miroir, dessinant un relief envoûtant tout autant qu’il souligne le travail de construction et révèle la finesse de la composition. Elle utilise autant qu’elle s’approprie le vide dans une économie du geste qui se fait tangible. Des éléments conversent ainsi entre eux notamment à travers une paire de chaussures dans la photographie et ces deux formes utilisées dans la cordonnerie qui émergent des fils électriques de l’installation. Cette incongruité, qui participe du mélange savamment organisé par Laura Lamiel confond un peu plus les temporalités d’une cellule qui emprunte à de nombreux champs de la création et de l’artisanat ainsi qu’à des temporalités successives.
Volontairement réduite, cette exposition de Laura Lamiel, si elle tranche avec nombre d’éléments de son vocabulaire habituel, ne manque pas moins de les souligner en filigrane, à l’image de ce blanc qui hante ses recherches et ses interventions. C’est ainsi négativement qu’il faut aborder ce blanc, hors des tubes fluorescents qui diffusent une lumière blanche rapidement altérée par sa réflexion contre la structure de cuivre et le carrelage coloré de la galerie. Il se dévoile face aux murs nus qui jouxtent l’installation, mais aussi au sein du second espace où est accroché un cadre photographique. La multitude de références (des dimensions parlantes de l’espace aux matériaux et images plein d’histoire) autant que le nombre d’inventions créent une ambiguïté vacillante qui se fait écho mental des vibrations incertaines de la lumière. En ce sens Laura Lamiel évoque une disparition, ou plutôt s’approprie par la négative l’ensemble de l’espace pour en faire œuvre et laisser émerger une présence éthérée. Autant d’ingrédients d’une formule secrète qui parvient, in fine, à élaborer un champ d’émotion dont le silence se fait sourd et finalement poignant.