Les Modules / Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent — Mirka Lugosi & Théodore Fivel — Palais de Tokyo — Exposition — Slash Paris

Passé : 9 septembre → 2 octobre 2011

Au mois de septembre, le Palais de Tokyo invite Yann Chevallier, responsable du projet artistique et commissaire des expositions du Confort Moderne à Poitiers, et lui propose le commissariat des Modules Fondation Pierre Bergé — Yves Saint Laurent.

Sous le titre générique OFF MODERN, les projets hors les murs du Confort Moderne privilégient la présentation d’artistes proches du centre d’art poitevin. Le choix s’est naturellement porté sur deux artistes français en marge de la scène artistique institutionnelle : Mirka Lugosi et Théodore Fivel. Les deux artistes peuvent sembler au premier abord très éloignés dans les formes, l’esthétique et les univers qu’ils déploient. Pourtant un socle commun les unit : autodidactes, leurs pratiques artistiques débordent largement du champ balisé de l’art contemporain pour apparaître dans les mondes de la mode, de l’érotisme, de la musique ou de la performance.

Les deux modules Fondation Pierre Bergé — Yves Saint Laurent sont entrepris comme une seule exposition, avec une transformation des espaces et une perception contrainte des œuvres.

Les deux paysages ambigus qui constituent l’exposition offrent des lieux de projection sinueux et déviants d’où émane une ambiance de science-fiction surannée. L’occasion d’apprécier deux trajectoires indépendantes, des univers à la marge, hors des esthétiques dominantes.

Théodore Fivel

Théodore Fivel est un artiste fantasque et polyfacétique. Acteur privilégié de toutes les tendances nouvelles et des pratiques artistiques urbaines, de la musique électronique à la performance, de la vidéo à la mode, autodidacte, il a grandi dans le Paris alternatif de la fin des années 1980 et des années 1990.

Théodore Fivel, Pyramid All, 2010 Laser, sable, fumée Courtesy de l’artiste

En parallèle, il multiplie les performances, seul ou au gré de rencontres entre New York et Paris. Théodore Fivel a toujours créé des objets, pratiqué la peinture, l’installation, l’assemblage, la musique, le film, l’image sous toutes ses formes. Son travail, souvent éphémère ou « performé », apparaît dans divers contextes, sans souci d’inscription dans le champ de l’art et de ses lieux autorisés.

Théodore Fivel, Cryyyyy, 2010 Courtesy de l’artiste

Pour son exposition au Palais de Tokyo, Théodore Fivel propose une nouvelle pièce de la série des tableaux de sable. Le sable est disposé sur une plateforme légèrement surélevée puis peint à la bombe. Un paysage de dunes aux couleurs irréelles flotte ainsi littéralement dans l’espace. La matière qui résulte du sable peint, difficile à identifier, semble provenir d’une planète encore inconnue. Seule une meurtrière est aménagée dans l’espace d’exposition, rendant le point de vue prédéterminé et la pièce impossible à toucher. Une projection distanciée, sinueuse et déviante, imprime à l’œuvre une ambiance de science-fiction surannée.

Mirka Lugosi

Mirka Lugosi est un personnage hors du commun ; elle a eu plusieurs vies. Née à quelques lieues du château de Dracula, au cœur des Carpates septentrionales, Mirka Lugosi grandit dans ce décor fantasmatique qui contribue aujourd’hui au charme et à l’étrangeté de son univers. Activiste underground des années 1980, elle fut une figure incontournable de la scène fétiche et membre du groupe expérimental noise, le Syndicat. Elle publie pour de nombreux magazines dont Maniac avec le photographe Gilles Berquet dont elle est le modèle, la muse et la compagne. Même si elle aime à se désigner comme « peintre d’images » et qu’elle pratique la gouache, les encres sur photographies, les vidéogrammes et l’illustration, c’est au travers du dessin que Mirka Lugosi exprime le mieux la complexité et la finesse de son œuvre. Son trait maniaque, à la mine de plomb ultra fine impose des heures de travail, un labeur douloureux, une épreuve physique qui relève d’un certain masochisme. Mirka Lugosi nous entraîne dans un monde d’objets, d’êtres humains et d’animaux qui, tous traités sur un pied d’égalité, fusionnent. Un monde aux apparences naïves qui pourtant transcende l’imagerie érotique pour questionner avec subtilité et impertinence nos rêves, nos pulsions et nos fantaisies.

Mirka Lugosi, Sans titre, 2009 Mine de plomb sur papier calque quadrillé — 21 × 29,5 cm Courtesy Galerie Air de Paris

Souvent cantonnée au registre érotique et aux conventions du genre, le travail de l’artiste s’inscrit dans une filiation plus large de l’art du 20ème siècle (depuis Hans Bellmer à Man Ray ou Unica Zurn).

L’exposition au Palais de Tokyo se concentre sur la présentation d’un dessin inédit. A cette fin, l’espace est transformé en un couloir sombre qui, fait d’épaisses parois de tissus, nous conduit à l’œuvre. Dans ce paysage sombre et inquiétant dessiné à la mine de plomb : ni héroïne, ni animaux. Les personnages et la charge érotique du travail de l’artiste semblent s’être emparés de la nature même. Tentative de projection d’une femme générique, autoportraits fantaisistes ou vision “genrée” d’un objet de désir ?

Mirka Lugosi, Sans titre, 2011 Crayon de couleur sur papier Courtesy Galerie Air de Paris