Mauvaises Graines II
Exposition
Mauvaises Graines II
Passé : 10 mai → 23 juillet 2016
Le second volet de l’exposition Mauvaises Graines rassemble huit artistes — Omar Ba, Stéphane Blanquet, José Maria Gonzalez, Céline Guichard, David Ortsman, Cendrine Rovini, Emeli Theander et Aleksandra Waliszewska —, invités à rejoindre sur les cimaises de l’espace Topographie de l’art, les neuf artistes de l’édition précédente — Edouard Baribeaud, Sebastian Gögel, Tami Ichino, C.N. Jelodanti, Hélène Muheim, Stéphane Pencréac’h, Chloé Poizat, Eric Winarto et Anaïs Ysebaert —, qui s’est tenue en juillet 2014. Bien qu’il n’y ait aucune exclusive, le tracé ou graphein — du grec ancien écrire, puis étymologiquement associé à l’image dessinée, d’où émergent tantôt des images, tantôt des textes -, ainsi que le papier, sont des médiums prédominants dans cette exposition qui entend porter un regard autre sur les pratiques du dessin.
Le dessin est, de facto, par essence, un mouvement originel, un début à tout, et plus qu’aucun autre médium artistique, habité par la fougue du geste prospectif, il est le support historique de la pensée en cours d’élaboration, mais aussi de l’instinct et du rêve éveillé. De l’art pariétal aux Romantiques, des papiers collés cubistes, surréalistes et dada, qui “questionnent la réalité de l’image, construisent un autre espace”1 jusqu’aux prémices de l’art conceptuel, le dessin, et toutes ses pratiques élargies — on pense aux papiers brûlés, au dessin hors papier, au land art, au body art, au wall-drawing, au dessin numérique, tissé, performé, etc… — ont accompagné, voire initié, les dissidences artistiques et intellectuelles des XIXème et XXème siècles, des avant-gardes aux tenants de l’art conceptuel2, avec cette volonté toujours renouvelée de libérer le regard et de remettre en question l’ordre établi. Historiquement, donc, le dessin est l’une des premières “armes” de contestation de l’artiste, au même titre que le pamphlet. Malgré l’intérêt grandissant qu’il suscite, et la tentative d’absorption par un phénomène inéluctable de globalisation culturelle, le dessin reste fondamentalement subversif, à la marge, et d’une efficacité redoutable : “par son aptitude à la discrétion (un dessin peut être facilement roulé ou plié et caché), c’est le procédé parfait pour transmettre l’expérience et la voix de l’autre — femme, enfant, autodidacte, esclave, prisonnier, opprimé.”3 Aujourd’hui il semblerait que toute expression contestataire soit d’emblée absorbée par la culture de masse ; au sein d’une “société qui a résolument rompu avec son passé, au nom de la modernité, sans pour autant parvenir à construire un futur dont même le désir n’est plus régénérant”4, l’engagement artistique a t-il encore du sens? Graffitis, empreintes pariétales, figures humanoïdes, fantômes, squelettes, animaux anthropomorphes, créatures hybrides, démons, paysages hantés, sauvagerie, sacrifices païens et rituels archaïques,…. L’exposition lève le voile sur les zones d’ombre de l’Humanité, les œuvres dissèquent nos peurs, nos fantasmes inavoués, refoulés, nos projections, elles bouleversent notre confort intellectuel en exhibant le chaos, l’indicible, l’organique et le grouillant, le sublime côtoie le trivial, le merveilleux n’est jamais très loin de l’absurde ou du burlesque, jusqu’à la sidération…
A travers ces multiples évocations d’une Arcadie qui n’a jamais existé en tant que telle, bien avant l’ère de l’anthropocène, il s’agit de retrouver les sources d’une humanité “primitive” et animiste — réelle ou fictive, cela importe peu -, de renouer avec cet idéal indéniablement romantique de l’homme qui ne faisait qu’un avec la nature, une nature magique, habitée par les esprits contenus dans les objets, les éléments, et toutes les entités vivantes. Exposition dans l’exposition, où la scénographie participe activement de cette éruption graphique qui jaillit sous nos yeux, les œuvres rassemblées nous entrainent dans les méandres de la figuration, les artistes empruntant leurs sujets aussi bien à la culture alternative, underground, aux fanzines, qu’à l’imagerie populaire, à la littérature et à l’histoire de l’art. En ce sens ces derniers appartiennent à cette génération d’artistes qui, à partir des années 90, réinvestirent la pratique du dessin en explorant les infinies possibilités du récit, libérés de toute théorisation d’un médium qui resta à distance des questions esthétiques, en plein essor des mouvements conceptuel et post-structuraliste5 ; décuplant les possibilités narratives du dessin, les artistes nous engagent, et s’engagent eux mêmes, à “penser le dessin en terme de poésie élargie”.6 Alors que la société saturée d’images dilate nos possibilités, avec cet impératif d’immédiateté dans la lecture et la compréhension des informations, le geste artistique fait acte de résistance, il nous propose une autre temporalité, celle de la contemplation et de la réflexion. L’espace d’exposition devient un microcosme bienfaiteur et régénérant, une envolée lyrique — et souvent uchronique -, au cœur de l’agitation. Il nous est donné à voir quelque chose d’autre. Cela semble peu, or cela est tout. L’engagement artistique fait sens en ce qu’il reste une responsabilité, un exercice critique indispensable à la mise en perspective des courants dominants. On se met alors à penser que Victor Hugo et Francis Picabia, pour ne citer qu’eux, n’auraient pas renié ces mauvaises graines.
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1 Sous la direction de Claude Schweisguth, ‘Mots, écritures, graffitis’, in Invention et transgression, le dessin au XXe siècle (Paris, coll. du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Cabinet d’art graphique, éd. du Centre Pompidou, 2007).
2 Voir à ce sujet l’essai de Mel Bochner ‘Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to be Viewed as Art’ in Vers le visible, exposer le dessin contemporain, 1964-1980, sous la direction de Julie Enckell Julliard (Paris, Musée Jenisch Vevey et éd. Roven, 2015).
3 Emma Dexter, ‘Le Monde entier est un dessin’, in Vitamine D, Nouvelles Perspectives en Dessin (Londres, éd. Phaidon, 2006), p.7.
4 Catherine Grenier, ‘I. Le Paradigme dépressif’, in Dépression et Subversion, les racines de l’avant-garde (Paris, coll. Les Essais, éd. du Centre Pompidou, 2004), p.15-16 5. Emma Dexter, ‘Le Retour du refoulé’, in Vitamine D, Nouvelles Perspectives en Dessin, op. cit, p.8.
6 ‘Gilgian Gelzer et Bernard Moninot, entretien avec Guitemie Maldonado’, in Biennale du dessin 2014 (Paris, éd. Beaux-Arts de Paris, Ministère de la Culture et de la Communication).
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Vernissage Samedi 7 mai 2016 18:00 → 21:00
Programme de ce lieu
Les artistes
- David Ortsman
- Hélène Muheim
- Eric Winarto
- Sebastian Gögel
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Chloé Poizat
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Céline Guichard
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C.N. Jelodanti
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Cendrine Rovini
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Tami Ichino
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Anaïs Ysebaert