Minia Biabiany — L’orage aux yeux racines
Exposition
Minia Biabiany
L’orage aux yeux racines
Passé : 23 janvier → 30 mai 2021
Invitée en juin dernier à investir l’espace de la Petite Galerie en tant que commissaire de la programmation vidéo collective Paroles de lieux qui fit la part belle à un ensemble de Figure[s] et de récits de l’ailleurs –, c’est désormais en tant qu’artiste et dans le cadre d’une exposition personnelle que Minia Biabiany (née en 1988 à Basse-Terre en Guadeloupe, vit et travaille entre Mexico et Saint-Claude) renoue avec ce même espace en créant une installation in situ dans laquelle elle présente des sculptures et dessins inédits. Ce faisant, elle y questionne également à plusieurs titres les jeux d’interrelations et de variations entre intentions, gestes et displays artistiques, de l’atelier à l’espace d’exposition, de l’archipel antillais à la presqu’île du Loing.
Au fil de L’orage aux yeux racines, Minia Biabiany poursuit un travail de recherche au long cours sur les processus de construction des identités guadeloupéennes et caribéennes tout en interrogeant l’évolution de la place des femmes noires antillaises dans ces sociétés. Ce travail de recherche innerve et résulte d’une exploration plastique subtile, sensible et délicate, jalonnée de fins entrelacs et d’hybridations, parcourant les confins de la petite histoire et de la grande Histoire, de l’actualité et des territoires ; entre art, nature, société et politique, vibrantes intuitions, relectures historiographiques et déconstructions de représentations héritées de systèmes de domination passés ou actuels, qu’ils soient coloniaux ou encore patriarcaux.
Cette continuité dans l’intention et la démarche de l’artiste laisse cependant place à une nouveauté qui naît du parti que prend ici Minia Biabiany de mettre en lumière la place essentielle, intime et intuitive du dessin dans sa pratique et, notamment, celle de ses dessins sur papier dont elle cherche à éprouver pour la première fois la plasticité et le caractère protéiforme dans l’espace, entre bi- et tri-dimensionnalité. En cela, l’exposition opère une mue esthétique et poétique qui offre les conditions d’apparition d’une rupture épistémologique et épiphanique que l’artiste éprouve et déploie à partir et à travers une installation spécifique qui porte une double réflexion sur ses racines, qu’elles soient géographiques, historiques, culturelles mais aussi artistiques.
Mêlant l’aérien, le terrestre et le maritime à travers des matériaux, des formes et des contenus aux fortes résonances culturelles, historiques et métaphoriques, l’installation créée par Minia Biabiany repose sur un dialogue singulier entre des sculptures ténues composées de fils de fer blancs — que l’artiste s’amuse à tirer et à lester çà et là d’objets hybrides composés de quartiers de conques de Lambi et de morceaux de bois d’acajou sculptés –, et une multitude de dessins parsemés. Réalisées au trait ou à la découpe, au feutre, à l’encre ou encore à l’aide de peaux de bananiers (rob a poyò), ces délicates variations dessinées, tantôt abstraites ou figuratives, énigmatiques ou parlantes, s’agencent au fil de deux ramifications minimalistes en bois travaillées en lignes de fuite, quand d’autres papillonnent à l’extrémité de tiges de bambou fichées directement dans les murs latéraux.
Issue d’une démarche phénoménologique à travers laquelle Minia Biabiany tend à développer un mode perceptif — plutôt que représentatif — de création comme de réception dans une approche sensuelle, immersive et plurifocale de l’œuvre, cette installation constellaire où se mêlent éléments naturels et culturels, réalités et fictions, mémoires et oublis, repose sur une tension intrinsèque entre apparente fixité et mobilité frémissante dans une conception « vivante » de l’œuvre, considérée comme un point d’étape et non une finalité.
Les connexions et les articulations à la fois formelles et conceptuelles que Minia Biabiany y établit s’activent et se désactivent au cours de la déambulation, faisant progressivement émerger un territoire insulaire imaginaire baigné de la « pensée archipélique » d’Édouard Glissant. Constitué de vides et de pleins, d’ombres et de lumières, de transparences et d’opacités, de reflets et de superpositions, de visibilités et d’invisibilités, ce territoire (re)structure singulièrement l’espace de la Petite Galerie et favorise l’émergence de différents niveaux de lecture et parcours de visite, invitant le regardeur à prendre part, entre mues et cicatrisations, au processus d’éclosion d’une nouvelle Histoire profondément composite.
Communiqué de presse de l’exposition