Oli Epp & Anton Alvarez — Sweet Tooth
Exposition

Oli Epp & Anton Alvarez
Sweet Tooth
Dans 10 jours : 22 mars → 10 mai 2025
Le terme sweet tooth, ou « bec sucré » (les Québécois disent « dent sucrée ») décrit une préférence pour les friandises telles que les bonbons, le qualificatif de « sucré » s’étendant parfois à un goût général pour le plaisir et l’indulgence. Dans la sphère visuelle, une inclination pour les « bonbons pour les yeux » implique généralement une attirance irrésistible pour une version améliorée, exagérée ou plastifiée de la réalité. Dans leur exposition homonyme chez Semiose, Anton Alvarez et Oli Epp embrassent fièrement leur « gourmandise » à travers un ensemble de sculptures et une peinture. S’inspirant de l’utilisation par le Pop Art de couleurs vives, d’images graphiques tranchantes et de finitions exagérées, ils exposent leur attachement compulsif (et le nôtre) à l’esthétique consumériste, à l’attrait du design et de la technologie, et à notre naturelle fascination pour les choses brillantes et colorées. À travers les multiples strates de tension et d’harmonie entre les traits contradictoires et compatibles de leurs pratiques, médiums, mentalités et concepts respectifs, les deux artistes suggèrent également que le plaisir des yeux n’est pas une simple forme d’attirance ou de plaisir esthétique, mais un phénomène complexe profondément ancré dans la marchandisation de l’expérience humaine.
L’œuvre The Snail (2025) d’Oli Epp domine sans conteste l’exposition. Il s’agit d’un hommage à la grande gouache découpée d’Henri Matisse, L’Escargot (1953), une œuvre souvent citée comme exemple de redéfinition de l’abstraction et de rapprochement entre la peinture et la sculpture par le biais du collage. En utilisant comme ligne directrice formelle l’une des plus célèbres œuvres tardives de l’un des maîtres incontestés de l’art du XXe siècle, l’artiste londonien construit cette synergie distinctive entre des éléments traditionnels du réalisme et des formes synthétiques, en « ballon » ou aplats graphiques. Les audacieux orange, vert, bleu, rouge et violet sont utilisés d’abord comme une force expressive dans une image par ailleurs épurée et graphique, et comme un moyen de rompre avec le réalisme historique. En ré-imaginant ces puissants découpages de papier gouaché comme des bijoux brillants, Epp mélange opulence et ironie, transformant une humble créature en un éblouissant symbole de désir et d’excès. Monté artificiellement sur un protagoniste caricatural à la langue bien pendue, ce « bling » réaliste constitue une critique insolente des valeurs consuméristes, tout en appréciant l’interaction entre nature et artifice. Peintes en trompe-l’œil, ces pierres précieuses flottent presque au-dessus de l’image, comme si elles étaient prêtes à être consommées et appréciées par l’observateur. Avec son concept surréaliste, l’œuvre s’inscrit également dans l’intérêt constant de l’artiste pour la fragilité, la transformation et la décadence ludique, ne manquant pas l’occasion de lier l’œuvre à son contexte, ici avec l’image d’une spécialité culinaire française et la métaphore d’une vie lente et réfléchie.
Ce sens de la décadence ludique et l’influence de la palette simplifiée des couleurs modernistes de Matisse sont quelques-unes des principales qualités des œuvres d’Anton Alvarez présentées dans l’exposition. L’artiste chilien et suédois réalise ses sculptures en céramique à l’aide d’une machine qu’il a lui-même construite, l’Extrudeuse. Cette approche innovante de la céramique et de la sculpture mêle automatisation et intervention manuelle, produisant des œuvres qui ressemblent à des artefacts ou à des piliers en train de fondre ou de se transformer. S’éloignant délibérément des techniques traditionnelles de modelage ou de tournage, le hasard et la mécanique des matériaux jouent un rôle important dans la forme finale de ces œuvres. Si les aspects techniques du processus sont soigneusement calculés et planifiés, l’exécution finale, du façonnage à la sélection des glaçures, suit une approche plus intuitive — à l’instar de l’utilisation de la couleur par Matisse. Le processus d’Alvarez permet une gamme complète d’expression dans le cadre d’une méthode de création extrêmement limitée et non conventionnelle. Il en résulte des formes confusément rigides, mais apparemment douces et organiques, qui reposent sur la synergie évidente de la production industrielle et de l’artisanat traditionnel. Respectant les limites des glaçures disponibles, la couleur de chaque œuvre vise à souligner sa forme et/ou à créer une illusion sur le matériau utilisé. Ainsi, certaines peuvent sembler avoir été réalisés avec des matériaux de type pâte à modeler, suggérant ce mélange étrange de splendeur et d’absurdité. S’éloignant des formes classiques pour s’orienter vers la technologie moderne, le design et les qualités qui flattent l’œil, les œuvres d’Alvarez adoptent et accentuent les idées fondamentales qui sous-tendent les pratiques des deux artistes, tout en explorant et en promouvant le concept de beauté, en constante évolution.
Avec des intérêts alignés et complémentaires, Epp et Alvarez se sont encouragés mutuellement à concevoir et à produire des œuvres qui distillent un éventail d’idées dans un format visuel plus minimaliste mais très complémentaire. Bien que leurs œuvres puissent sembler distinctes à première vue, leurs concepts communs suggèrent à quel point nous sommes étroitement liés et presque uniformisés dans la société contemporaine. Grâce à une esthétique qui repose sur des formes aplaties ou morcelées, des proportions exagérées et des surfaces intenses — brillantes ou mates –, les deux artistes produisent des œuvres séduisantes et gourmandes, dont l’attrait artificiel évoque la nature d’un bonbon. Cette séduction brillante et sucrée est censée évoquer l’enfance, la nostalgie et une réaction presque dopaminergique, qui attire le spectateur et le submerge peut-être un peu. Comme de croquer dans un délicieux bonbon et ressentir cette humiliante piqûre de sucre, cette esthétique douceâtre est intentionnellement conçue pour captiver le spectateur alors qu’elle ne fait qu’exposer les vérités plus profondes qui se cachent derrière : comment l’attrait visuel a été transformé en marchandise dans la société moderne, façonnant nos perceptions de la valeur, de la beauté et de l’identité.
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Vernissage Samedi 22 mars 11:00 → 20:00
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous
Programme de ce lieu
Les artistes
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Oli Epp
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Anton Alvarez