ORLAN — Striptease historique

Exposition

Performance, photographie, techniques mixtes

ORLAN
Striptease historique

Passé : 18 février → 21 mars 2021

Orlan galerie ceysson & benetiere paris exposition 13 1 grid ORLAN — Galerie Ceysson & Bénétière, Paris Pour sa troisième exposition consacrée à l’artiste, la galerie Ceysson & Bénétière a réuni des photographies qui ont très peu été m... 2 - Bien Critique

Ode à un féminisme anarchiste par une artiste-putain, ORLAN

« Tout mon travail ou presque
est entre “bordel et cathédrale” »

ORLAN

En 1964, ORLAN est une jeune fille de 17 ans qui s’invente elle-même, en se photographiant sur son drap de trousseau. Ce dernier a été sagement élaboré par sa mère, couturière à ses heures, épouse d’un mari anarchiste, espérantiste et naturiste qui travaille dans l’électricité. Dans son œuvre manifeste ORLAN accouche d’elle-m’aime, où elle apparaît face à son alter ego, mannequin, elle prend les poses d’une adolescente qui s’ennuie à une terrasse de café. Sa bouche boudeuse est relevée par un sémillant rouge à lèvres, le regard charbonneux fixe un point en hors-champ vers un horizon prometteur loin de Saint-Étienne. En attendant, ORLAN s’essaie à la poésie, elle publie un recueil pour ses 15 ans et en conservera le witz, l’esprit, tout au long de son œuvre. Elle s’ouvre au théâtre, au yoga, à la sculpture et à la peinture.

Dans un joyeux bazar, elle se disperse et expérimente un répertoire de postures qui mettent à mal une certaine tradition du nu… féminin. Aux mimiques de l’adolescente s’ajoutent les formes étrangement symétriques et contrariées des poupées de Hans Bellmer, apparues pour la première fois trente ans plus tôt, dans une Allemagne fasciste. Les assemblages bellmeriens mis en scène dans des cages d’escalier ou sur les draps de lit défaits — qualifiés pendant les années sombres de « dégénérés » — ne sont pas sans affinités visuelles avec les premières photos d’une jeune femme qui observe la disparition d’une des dernières comètes avant-gardistes européennes, le surréalisme.

Loin de la scène parisienne, ORLAN n’a pas le privilège — de classe et de genre — d’appartenir à des groupes ou des bandes d’artistes qui sont pour la plupart l’expression la plus intense de la culture de l’entre-soi masculin, que ce soit les nouveaux réalistes ou les surréalistes qui manient avec trop de sérieux la naissance d’un nouveau mouvement et sa dissolution. Qu’importe ! Les récits indociles et émancipateurs de Simone de Beauvoir, de Françoise Sagan, de Colette ou encore de Jean Genet ont propagé l’onde de choc du libre arbitre, que tou.te.s peuvent exercer sans distinction de race, de classe, de genre et de sexualité : on ne naît pas insoumis.e.s, on le devient.

Ce message, ORLAN se l’est très tôt approprié — bien avant la création du MLF en 1971 — en se constituant un panthéon d’idées anarcho-féministes. Encore fallait-il lui donner corps, chair pour mieux le célébrer et le partager : « Ceci est mon corps » a dans ce contexte une tout autre résonnance, à mi-chemin entre la maison de passe et la sacristie. Pas si loin de l’irrévérence surréaliste d’un Hans Bellmer ou de l’appel libertaire d’un Pierre Molinier ou encore d’un Clovis Trouille, ORLAN continue de nous tancer de toute sa hauteur. La série Nu descendant l’escalier avec talons compensés (1967) nargue cependant les avant-gardes passées, révolues pour cette ORLAN naissante. Enfin, les corps de jeunes femmes ne sont plus des représentations qui nourrissent des fantasmes convenables ou tristement honteux. Ces corps deviennent grâce à ORLAN des manifestes post-surréalistes. Des émanations du Théâtre de la cruauté d’Artaud qui, par leur incongruité, leur humeur rageuse, pèsent de tout leur poids, leur généreuse pilosité, leurs étranges ombres portées. Dans ce sens, les masques grotesques qu’arbore ORLAN, dans sa série de Tentative de sortir du cadre (1965) par exemple, sont des majeurs levés contre l’hypocrisie religieuse qui règne autant sur l’érotisme à la papa que sur l’injonction à devenir mère.

ORLAN prendra très vite une autre orientation : « Artiste, je n’ai qu’une issue : me vendre. Il faut faire face à cette situation. Je fonce. Je vais trouver monsieur Untel, je lui propose mon corps tout en lui exposant mon travail. » Face au cynisme du marché de l’art et à la morale bourgeoise des institutions artistiques, ORLAN affiche la posture politique de l’artiste-putain non sans y prendre beaucoup de plaisir. De cette considération naîtront deux œuvres majeures : la série de pièces qui s’articulent autour de ses draps de trousseau maculés de sperme par ses amants (1968-1975) et Le Baiser de l’artiste (1976-77) qui la fera renvoyer de son poste d’enseignante à Lyon.

Ce statement devance les performances féministes de Lynda Benglis, Valie Export et Judy Chicago. Quelques années après ORLAN, Valie Export et Judy Chicago se rebaptisent : d’une marque populaire de cigarettes pour la première et de sa ville natale pour l’autre. L’œuvre d’ORLAN, longtemps réduite à la catégorie « art corporel », a été amputée de sa dimension conceptuelle. Pourtant c’est bien dans la lignée de sa désobéissance anarcho-féministe et de son libre arbitre qu’ORLAN déploie très tôt, dès 1964, ses actions spontanées Action Or-lent : les marches au ralenti dite au sens interdit. Elles seront séminales quant aux MesuRages, performances aux formes processuelles et aux contenus politiques, devenues aujourd’hui iconiques.

Géraldine Gourbe, janvier 2021

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