ORLAN — Galerie Ceysson & Bénétière, Paris
Pour sa troisième exposition consacrée à l’artiste, la galerie Ceysson & Bénétière a réuni des photographies qui ont très peu été montrées à l’époque de leur création, lorsqu’ORLAN avait entre 17 et 20 ans et commençait ses recherches autour du corps et de l’identité. Un aspect méconnu de son œuvre se révèle alors, empreint d’une rébellion propre à la jeunesse qui ne l’a pas quittée.
« ORLAN — Striptease historique », Galerie Ceysson & Bénétière du 18 février au 21 mars 2021. En savoir plus À travers une dizaine d’autoportraits en noir et blanc de grands formats, réalisés entre 1964 et 1967, nous découvrons la jeune étudiante jouer avec les postures de son corps nu, la lumière et ses ombres portées, soutenues par un cadrage et un angle de vue toujours bien pensés. Une certaine pudeur en émane : ORLAN parfois nous échappe. Comme une partie de cache-cache, elle enfouit son visage derrière un masque ou ses cheveux longs, ou bien renverse sa tête en arrière, en avant. De cette façon, elle ne fuit pas mais nous informe que c’est elle qui décide de ce qu’elle montre et de ce qu’elle dissimule, qu’elle est maîtresse de son image et de son corps. De là naissent des images nouvelles de la nudité féminine, libérées du male gaze, à contre-courant de l’art traditionnel encore très ancré au début des années 1960.L’exposition trouve toujours un écho en 2021 puisque ces images sont celles dont nous manquons encore : celles d’une femme vue par elle-même qui décide seule des limites de son intimité. En témoigne l’impressionnant Nu descendant l’escalier avec talons compensés (exposé pour la première fois) où ORLAN nous regarde avec audace du haut de ses cuisses puissantes et de son sexe à la pilosité fière. Le point de vue en extrême contre-plongée fait de nous des spectateurs.rices interrogé.e.s, voire défié.e.s, par ses yeux souriants qui interpellent, provoquent. Nous retrouvons donc ce qui est au cœur de l’actuel engagement féministe de l’artiste française qui ne cesse de dire à travers ses œuvres, à la croisée de nombreux médiums, que son corps lui appartient.
La sélection et la réunion de ces clichés précieux à la galerie Ceysson & Bénétière dessinent donc le portrait d’une femme qui a décidé très tôt de faire de son corps la matière première de son art et d’en explorer ses potentialités artistiques pour comprendre les entraves sociales, politiques et religieuses qui pèsent sur lui. La présence dans l’exposition de la série Strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau, datant d’une période plus tardive (1974), vient le prouver : au fil de dix-huit photographies, l’artiste en madone portant un trousseau — linges qu’une femme devait broder en vue de son mariage — se défait toujours un peu plus de ce tissu lourd et contraignant jusqu’à la nudité totale puis la disparition.
Ni sainte, ni pute, ou bien les deux à la fois, qui est donc ORLAN ? Si l’artiste internationalement connue demeure un être libre, pluriel, insaisissable, l’exposition offre cependant le privilège d’accéder à une part inédite de son histoire, cet élan de la jeunesse demeuré intact, lorsque l’artiste ne s’était pas encore heurtée à la violence réactionnaire suscitée par Le Baiser de l’artiste en 1977. Lors de cette célèbre performance, elle proposait à tout.e volontaire d’échanger un baiser contre cinq francs, ce qui lui a valu de perdre son poste d’enseignante et d’être la cible d’insultes misogynes.
L’exposition Striptease historique réactive donc la portée de ces premières créations restées dans l’ombre, qui contiennent pourtant en germe les problématiques fondamentales d’ORLAN et confirment son statut d’avant-gardiste.