Ivan Navarro — Galerie Templon, Paris
La galerie Templon dévoile une dizaine d’œuvres inédites de l’artiste Ivan Navarro qui poursuit son exploration de la lumière pour mettre en question notre rapport à la liberté et les traces d’une histoire dont il altère les signes pour offrir un échappatoire au présent.
« Iván Navarro — Planetarium », Galerie Templon du 30 janvier au 20 mars 2021. En savoir plus De ses constructions mélangeant symboles et effets visuels aux mécaniques de la perception, Ivan Navarro a immédiatement marqué le monde de l’art par la redoutable efficacité de propositions qui se déchiffrent en orchestrant la bascule de nos points de repère. Mais loin de se réduire à un art de la bonne idée, du processus aussi malin que pertinent dans un monde où l’image fait immédiatement communication, l’artiste creuse en réalité dans la séduction une multitude de pièges qui retournent les perspectives du regard.Car derrière leur tonalité de plus en plus grave au fil des ans, les sculptures de l’artiste ménagent dans l’espace des lignes de fuite sensorielles qui sont autant de vecteurs d’émancipation à l’imaginaire qui, à travers elles, simule et met à l’épreuve sa liberté. L’illusion de l’espace possible au sein de ses habiles jeux optiques devient le répétiteur d’un saut dans l’inconnu à méditer avant de penser ses conditions d’application dans le monde et de saisir la détresse de corps auxquels cette liberté a été arrachée. Né sous la dictature, Navarro déploie ses œuvres comme on formule des énigmes, se faisant complice et agitateur d’un monde de l’art dont il maîtrise les codes jusqu’à la caricature pour mieux étirer la diagonale de ses chambres de résonance de cris qui, s’ils nous sont parvenus, s’ils ont pu dépasser en leur temps les frontières, risquent bien d’étouffer ceux qui continuent de pousser.
Une variété d’essais à l’œuvre dans cette présentation qui convoque les astres et l’étendue spectrale des couleurs pour bombarder à la surface plane du tableau leurs reflets irisés. Le choc est radical, le vocabulaire tonal proche de celui des échoppes de grandes villes aux lumières fluorescentes magnétisant de toutes leurs forces errances du regard. La comparaison s’arrête là, les intensités lumineuses dévoilent, à mesure qu’on s’en approche, une complexité grandissante qui se prolonge et s’étire à la faveur de notre propre mouvement. Chaque proposition, unique, devient le point d’entrée d’un voyage auquel abandonner sa conscience pour entrevoir la possibilité de se perdre, de s’abîmer hors de toute mesure. Les diffractions de lumière s’entassent dans des constellations qui donnent d’ailleurs leur titre à certaines d’entre elles, justifiant cette appellation de Planetarium qui les regroupe.
Plus renversant encore, la mise en suspens, pour cette nouvelle série, de formes sculpturales symboliquement plus marquées qui parsemaient son œuvre et l’adoption d’un format presque traditionnel avec la succession de tableaux n’ôte rien au spectaculaire de effets de l’artiste et installe plus durablement, par une forme de sobriété, son langage plastique dans une tradition picturale qu’il a, cela apparaît clairement ici, toujours côtoyé.
Ce détournement du regard, vers les abîmes spatiales apparait alors avec d’autant plus de force comme une manière de mettre en perspective ce qui se passe sur cette même terre qui appelle à les regarder. Entre désir d’émancipation et évocation continue des dangers qui nous menace, la fascination pour le feu, l’explosion et le spectacle se confond avec la tentation de s’approcher toujours plus près du précipice et de se laisser ensorceler par ce mirage qui semble dessiner dans le vide les barreaux d’une échelle auxquels se raccrocher.
Navarro parvient ainsi à créer des instants vides, projeter des néants symboliques pour jeter des ponts souterrains entre les hommes, entre les mondes qu’ils habitent pour réussir ce tour de force permanent de faire basculer les polarités, de renverser nord et sud. Et atteindre finalement, à travers l’immatérialité constitutive de l’illusion, le point de jonction entre expérience sensible et sentiment qui confère au vertige immobile des uns la gravité de l’urgence de percevoir les entraves d’autres.