Jeffrey Silverthorne — L’ahah, Paris
L’ahah présente une exposition de Jeffrey Silverthorne qui, si elle couvre temporellement la quasi-totalité de la carrière du photographe américain, se veut plus émotive qu’exhaustive, invitant le spectateur à découvrir, derrière ses clichés les plus célèbres, une démarche habitée par un goût profondément ancré dans l’empathie.
Exposition : « Jeffrey Silverthorne — Pleasures, Sadness, Sometimes » du 23 janvier au 27 mars 2021. En savoir plus L’exposition Pleasures, Sadness, Sometimes, dont le titre, pour léger et aléatoire qu’il apparaît, cache en réalité la dualité essentielle qui a mû et fait mûrir son regard, inséparable des notions de désir et de mort, que la brièveté du moment vient toujours articuler et emmêler. Rien d’étonnant alors à ce que le parcours le plus étendu, celui de #Griset se conclue sur l’image de sa main, tendant face à l’horizon, un portrait de sa mère qu’il conserve précieusement sur lui. L’intimité ne se décrète pas, elle se donne et il appartient à chacun de la partager, d’en assimiler assez les enjeux pour en faire un instrument de parole, d’écoute et d’échange.Une magie à l’œuvre dans ce parcours qui embrasse toutes les évolutions et circonvolutions d’un travail qui, empilant les expériences, multipliant les approches et renouvelant ses codes esthétiques, fait de la diversité l’argument essentiel du propos de ses images sur le monde ; l’humain, son image, ses activités, son paysage naviguent ici sur un même plan et déverrouillent la soif d’une hiérarchie pour faire cohabiter des enjeux qui en ont toujours refuser la loi. Ici, la liberté prime, certes pour rendre à la vie des corps parfois prisonniers mais surtout pour insister sur la nécessité de multiplier et confronter des regards qui nous donnent à voir ce qui est bien trop souvent caché. Dans cette multitude de séries c’est bien le fil d’une fidélité à ses sujets, qu’il s’agisse d’humains ou de thèmes, de forme qui se fait jour et renseigne sur la pratique de ce photographe dont l’engagement passe par l’acte même, la volonté de capturer et de voler au monde les images de celui qu’on ne perçoit pas, comme celui qu’on ne veut pas voir. Les « invisibles », loin d’être glorifiés de manière aussi aléatoire qu’ils sont écartés, occupent ici une place saine, font partie d’un monde dans lequel ils sont légitimes.
Au dessein esthétique d’un monde dont la noirceur revêt, même inconsciemment, un caractère romantique, l’artiste préfère le rendre dans toute sa complexité et met à bas l’illusion de maîtrise pour assumer, plastiquement, sa passion de témoin privilégié. Il ne manque pas de multiplier ainsi les clins d’œil, irruptions de parties de son corps au sein de l’image, déjouant le mutisme apparent de situations qui, si elles n’ont rien d’idéalisées et flirtent bien souvent avec la mort, avec le rejet, ne manquent pas de garantir quelques îlots de joie et de plaisir. Si la photographie capture sans autre forme de procès l’image de leurs corps, l’instant souvent explicite des activités de ses sujets, c’est bien par l’envers que se dévoile toute la sensibilité des enquêtes de Silverthorne qui, de la focale extérieure, se prolongent en s’accolant, sans un mot, à la ligne de mire de ses sujets, poursuivant une perspective qui finit par épouser leur horizon.
La découverte de l’intime devient ainsi, plus encore que la révélation du caché, la mise en situation de ce que ses sujets perçoivent, de cet alentour dépourvu de signes qui ne se lit qu’à l’aune du mouvement échafaudé par le photographe. L’anecdotique, l’élément aléatoire révèle sa portée dans la somme de traces que Silverthorne a emprunté et se résout autant dans l’image que dans l’attention qu’il lui accorde, appliquant sur le monde qu’il met en scène une véritable marque qui lui appartient, un code qui se renouvelle à chaque série pour relier toutes les pièces essentielles d’une vie photographique. Au fil du temps, au gré des moments, des hasards et des constructions, il façonne des images qui ne vivent que par leurs différences et résonnent d’autant plus intensément que les échos qu’orchestre cette exposition font toujours tressauter son objectif initial en portant dans leur composition les marques de l’adaptation de l’artiste à leurs propres lois.
Mélancolie et plaisirs se font ainsi face dans un parcours qui virevolte à travers les sujets, fait preuve de la grande versatilité du photographe sans perdre cette attention constante à son désir de « faire image », de recomposer cette réalité qui s’écrit à hauteur de ceux qui la peuplent.