Zhuo Qi — Galerie Paris-Beijing
Zhuo Qi présente, à la galerie Paris-Beijing jusqu’au 13 mars 2021, un ensemble de nouvelles sculptures qui font dialoguer les temporalités et les distances en appliquant sur des sculptures chinoises traditionnelles des ajouts de verre.
On avait découvert en 2019, lors de sa première exposition à la galerie Les filles du calvaire un Zhuo Qi en artificier de la sculpture, figeant dans la matière sculpture les marques de la déflagration de pièces chargées d’histoires. Assagi, mais loin d’être repu de son désir de transformation, de modélisation des formes héritées du passé, le voilà appliquant à des artefacts précieux un traitement curatif, réparant les marques du temps en leur offrant autant de prothèses de verre qui les subliment.
À la faveur d’une résidence au sein d’un atelier de verrerie de la fondation Martell à Cognac, Zhuo Qi souffle sur le passé un vent protecteur qui s’agglomère à la matière en formant des bulles aléatoires et protectrices qui guérissent ces figures heurtées, des artefacts de verre comme des scaphandres qui laissent les sculptures originales en suspens, sous pression dans leurs dômes de confinement. Rapidement, les frontières de la réparation et de la contrition se rejoignent, la protection vire à la mise en évidence de leur fragilité, redoublée par le choix même du matériau, un verre soufflé qui ajoute aux cicatrices du passé les possibles fêlures du futur en offrant à ces figures figées une véritable dynamique des courbes qui agite leur mécanique secrète des fluides.
Dans une présentation qui aurait très certainement mérité une plus grande étendue, Zhuo Qi établit une mise en scène frontale où les pièces, posées sur socle et de tailles diverses, font face au visiteur et s’offrent d’un seul tenant. Autant de personnages d’une scène rêvée, ces acteurs installés sur un même plan semblent pourtant chacun porter une histoire qui les isole, reliés seulement par les stigmates d’une intervention extérieure, comme autant de patients en rémission réunis dans une salle de réveil qui n’attendraient que leur sortie pour rejoindre leurs congénères, armés de leur « exosquelette » au charme particulièrement opérant.
Un processus qui laisse place à l’interprétation et touche si juste qu’il éveille une pléiade d’associations d’idées, renvoyant autant aux règles de l’esthétique, aux excès abscons du design décoratif, à l’attention constante aux usages de nos ressources matérielles et aux nouvelles pensées de la « curation », du soin porté aux œuvres comme aux hommes.
Ces prothèses aléatoires dont l’artiste ici artisan ne maîtrise que de loin les formes imparfaites, dépendent ainsi de la réaction chimique de la pâte de verre et du feu pour dessiner, étirer et diriger une forme plutôt que la « désigner » définitivement. Zhuo Qi redonne en cela une véritable singularité à des œuvres qui n’en manquent pas, laissant osciller la question de la maîtrise entre deux pôles ; sa capacité à inventer comme à souligner la ligne, l’inextricable charge du passé dans la création présente. L’ « étrangement beau » du titre reflète ainsi peut-être cette dimension toujours autre, étrangère d’une beauté qui dépasse la valeur de la matière, cette transformation d’œuvres initiales en altérations d’elles-mêmes, repensées et réparées, bien que loin d’apparaître plus fonctionnelles, loin de se plier plus facilement aux exigences du décoratif.
Refusant tout conservatisme, Zhuo Qi élabore une véritable thérapeutique artistique, « re-faire » plus que reproduire, inventer à nouveau la règle de l’ « ancestral » pour mieux la respecter. Et soigne ainsi le bien par le bien pour maximiser les chances de faire courir la vie dans les veinures d’œuvres que la mise au rebut avait laissé sans souffle, amorphes.