Playing war
Exposition
Playing war
Passé : 2 juin → 15 juillet 2016
« Tandis que l’un des camps en présence perd des êtres de chair et de sang, l’autre ne perd plus que des jouets. Il ne reste plus à ces premiers qu’à tirer et à mourir, car les jouets, eux, ne meurent pas. »1
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Si jouer, c’est prendre de la distance par rapport à la réalité, c’est faire semblant, être dans l’imaginaire ou le fantasme, si l’on tue pour de rire lorsque l’on est enfant ou que le jeu canalise l’agressivité, voire soigne des traumatismes, l’expérience immersive des jeux vidéo et leur instrumentalisation militaire, non contente de poser le problème de la déréalisation de la guerre, témoigne en arrière-plan d’une logique plus controversée encore : le Game. Les lobbies industriels et les complexes militaires ont bien compris les vertus propédeutiques des jeux vidéo : plus qu’un simulateur augmentant l’habileté, les tactiques stratégiques ou les réflexes en état de stress, les jeux vidéo sont le support d’idéologies qui se trouve désormais incorporée dans un procès de gamification généralisée du monde. Le business de l’armement, l’utopie d’une guerre propre passant par des drones ou des interfaces de combats simulés ne fait que creuser l’écart avec le réel et l’asymétrie d’une guerre qui se radicalise en devenant de plus en plus unilatérale.
Du play au game, du libre jeu de l’enfant — créatif et initiatique — aux règles bien établies menant à la victoire, l’exposition Playing War sonde le décalage sensible entre ces deux termes. Entre figuration opératoire, mixant différents niveaux de réalités dans les aquarelles d’Alain Josseau, et représentation figurative avec les dessins d’enfants par transfert de Matthieu Boucherit, un même désir d’interroger notre rapport ludique à la guerre se fait jour. S’il est question de distance, voire de distanciation, le lieu du jeu se situe bien davantage dans un espace intermédiaire, dont Winnicott disait qu’il se trouve dans la zone des phénomènes dits « transitionnels ». Ni dedans ni dehors, ni du côté du joueur ni de celui de l’écran, les deux artistes abordent, chacun à sa manière, les vertus et les vices du jeu, faisant de ce dernier un laboratoire pour les formes de la subjectivité et du sensible.
Dans la tradition des aquarellistes militaires du 19ème siècle, Alain Josseau propose une réflexion sur les collusions entre les différents niveaux de simulacre. En superposant dans War Game, des images extraites de centres d’entrainements immersifs développés sous contrat avec des sociétés de jeux vidéo pour l’armée américaine aux images du jeu vidéo « Call of Duty », Josseau ne reconduit pas le débat éculé d’une confusion entre le réel et le virtuel. Il entend plutôt tirer les lignes de cette confusion vers un procédé de sublimation, où le fond flou issu du jeu, servant de paysage aux soldats équipés de capteurs, se fait l’écho de l’état gazeux, sans gravité ni consistance d’une réalité « qui n’a d’existence que dans le jeu infini des combinaisons algorithmiques ». De l’espace clos à l’espace infini, c’est le vertige et le débordement provenant non tant d’un univers sans règles que du dérèglement d’un univers à règles, où le play se pare des oripeaux du game, qui semble s’esquisser.
A l’opposé, le travail d’archive mené sur plus d’un siècle et à travers le monde par Matthieu Boucherit récoltant des dessins d’enfants ayant vécus la guerre, témoigne d’une attitude plus sensible que critique, plus proche du play que du game. Il est frappant de constater que même en état de guerre, les enfants continuent d’y jouer, de même que leurs dessins conservent la prétendue innocence de ceux réalisés en temps de paix. Cette attitude ludique devient un prisme leur permettant d’avoir accès à une réalité dont les règles sont trop effrayantes et dont l’impact émotionnel creuse l’écart avec le réel. Ainsi, l’empreinte laissée par le crayon dans le sillon blanc de la feuille blanche évoque autant le traumatisme que le jeu de l’enfant se divertissant et créant à travers le dessin. Ce rapport direct avec le trait est une manière de recoller avec les failles du réel et l’imaginaire parfois perturbé de l’enfant, à l’instar du dessin de Tereska, dont la maison n’apparait plus que comme un champ de barbelés. .
De la guerre jouée à jouer à la guerre, il faut retenir l’idée que ce sont les joueurs qui font les jeux autant que les jeux font les joueurs, comme « ce sont les regardeurs qui font les tableaux », selon la formule de Duchamp. Ainsi, est-ce peut-être dans cet espace entre-deux que Playing War trouve sa résolution.
1 « Toys against the people, or Remote Warfare », Science for the People (1973), in Théorie du drone, Grégoire Chamayou, Paris, La Fabrique, 2013, p. 310.
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Vernissage Jeudi 2 juin 2016 à 18:30
Horaires
Les lundis et mardis, du jeudi au samedi de 11h à 18h
Et sur rendez-vous