Revenge ! — You’re innocent when you dream
Exposition
Revenge !
You’re innocent when you dream
Passé : 10 mars → 30 avril 2016
Un zèbre et deux wallabies affichent à nos faces leurs queues, pattes et postérieurs. Évidemment la forme et l’effet sont désopilants mais à y penser de plus près, ils ont peur et veulent sauver leur peau. S’échapper, se dérober, ils cherchent à s’extraire, entrer dans un trou, faire l’autruche ou essayent de se cacher, se camoufler comme les caméléons. Il y a un peu de La Fontaine chez Ghyslain Bertholon qui a choisi la figure animale pour se moquer, sérieusement mais avec le sourire, des hommes, épingler au mur et à nos yeux, les peurs, les violences, les contradictions d’un monde en sursis. Ses fameux Trochés, présents dans son travail depuis 2003 — lièvres, lapins, souris, vaches, sangliers, lions, kangourous… —, sont les facétieux et tristes trophées d’une humanité qui s’égare dans ses absurdités et ses sauvageries. Jules Renard n’écrivait-il pas, déjà, dans son Journal « La guerre n’est peut être que la revanche des bêtes que nous avons tuées » ? Léon Tolstoï n’affirmait-il pas à la fin du XIXe siècle « Tant qu’il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille » ? Marguerite Yourcenar ne disait-elle pas « L’homme a peu de chances de cesser d’être un tortionnaire pour l’homme tant qu’il continuera à apprendre sur l’animal son métier de bourreau » ?
L’art de Ghyslain Bertholon est engagé. Politique, philosophique, il est générateur de pensée. Il sonde le vivant, l’instinct, la conscience, la raison, questionne le statut de la nature, de l’animal et de l’homme, les rapports de domination du dernier sur son environnement et sur lui-même, et n’a de cesse de fixer, en sculptures, dessins, installations, par des chocs plastiques et des éclats caustiques, dans ses titres et sous titres même (contrepèterie, jeux de mots, calambour), nos vanités contemporaines. Au revers de leur drôlerie, ses œuvres soufflent, embusquées, quelques interrogations profondes : Où allons nous ? Que va-t-on laisser ? Jusqu’où peut-on tordre, plier la nature ? Notre humanité est-elle en train de disparaître ?
Dans Revenge ! You’re innocent when you dream, les obsessions de Ghyslain sont là, présentes dans des formes devenues signes, style, sa signature — crânes, taxidermies, fusils ou flingues. Il y a une « patte » Bertholon. Immédiatement reconnaissables, invitations à la réplique, à la résurgence, ses pièces possèdent un langage commun et fonctionnent comme un ciment, un lien, une fraternité. Bien qu’autonomes, elles font aussi partie d’un tout, d’un territoire esthétique, d’une histoire, témoins d’une société qui part à vau-l’eau.
Deux crânes en bronze, identiques, s’embrassent, alors que sur leurs têtes une armée de petits soldats se battent. Fusils en main, ils se tirent dessus. La raison ? Ils se ressemblent trop. Leur guerre n’a pas de fin car il faut bien que les hommes s’amusent à mourir. « La vérité que personne n’ose dire c’est que la guerre est un plaisir, le plus grand des plaisirs, sinon elle s’arrêterait tout de suite. » (Emmanuel Carrère). C’est Violently happy !
Sur des crânes d’animaux cette fois dessinant des paysages, des personnages miniatures jouent des scènes obscures. Des femmes se déculottent devant des moines en soutane, des militaires planqués dans des sapins chassent une fille avec leurs carabines comme un lapin, deux types en costumes noirs se tiennent face à une adolescente allongée et nue, un punk à crête rouge, seul insoumis, tend son majeur droit debout, des enfants se cachent dans une forêt pour ne pas y passer, des badauds voyeurs matent des poitrines derrière leurs jumelles et on se croirait dans un mashup des films de Kubrick, Lynch, Haneke ou des frères Cohen. C’est Land(e)scape.
Et puis il y a la série tordante des Gasshoper-Boy, petits cow-boys assis sur de géantes sauterelles qui font du rodéo et s’apprêtent à conquérir un nouveau monde, ravager, envahir comme une vague, une nuée, un continent entier.
Maintenant un flash-ball tire des balles en caoutchouc et se déguise en gros jouet inoffensif alors qu’il blesse, troue, rend aveugle. Le design est aussi et absurdement au service des supplices. Ghyslain transforme le pistolet en un objet lourd, grave, encombrant. Et voilà le pétard des policiers qui se décharge au pif, sur la foule, des ados, des enfants. Bertholon détourne les scènes traditionnelles de chasse à cour en chasse à l’homme par l’homme : désolante, hideuse battue. C’est Fall-Bash.
Et puis, deux animaux, mélange d’un lion et peut être d’un chien, sont couchés comme des gardiens de loi à l’entrée des palais de justice. Ils sont lisses, blancs, encore vierges de présent et d’avenir. À côté, une bête fragile aux pattes longues et tremblantes les regarde, proie facile. Les deux chimères conserveront-elles leur apparente douceur et placidité ou mueront-elles en dragons, annonciateurs d’un inéluctable carnage ? L’Histoire est à écrire. C’est you’re innocent when you dream. Car dans les rêves, oui, plus de bourreaux, plus de victimes. Seules, résistent les promesses et l’imagination.
- La série des Trochés dénonce l’absurdité des comportements humains face à la nature. Aucun animal présenté ici n’a été tué pour les besoins de l’exposition et la réalisation des œuvres. Les peaux utilisées sont récupérées dans les filières règlementées.
- You’re innocent when you dream, titre emprunté à une chanson de Tom Waits.
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Vernissage Jeudi 10 mars 2016 à 18:00
Horaires
Du mardi au samedi de 14h à 19h
L’artiste
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Ghyslain Bertholon