Tomi Ungerer — Tomi l’Alchimiste — Le Grand Oeuvre

Exposition

Dessin

Tomi Ungerer
Tomi l’Alchimiste — Le Grand Oeuvre

Passé : 24 mars → 27 mai 2023

Pour les praticiens du Moyen Âge, l’alchimie est la Science par excellence, celle qui contient les principes de toutes les autres. Son objet d’étude est la vie. Tomi Ungerer aussi a étudié la vie ; celle des femmes, des hommes, des animaux, jusqu’à celle inanimée des chaussures, robinets, cafetières et autres artefacts du quotidien. Le jeune Tomi rate son baccalauréat mais reçoit la mention d’étudiant doté « d’une originalité perverse et subversive ». Ces adjectifs viennent respectivement du latin perversus, subversum, qui signifient « renversant », « renversé ». C’est bien le propre de la métamorphose : une transformation totale d’un être, d’une chose : « On observe les gens et ensuite ils se mélangent entre eux ». Ungerer s’intéresse aux sciences naturelles, à l’anatomie et au principe même de la métamorphose. Le corps humain devient un thème de prédilection bestialisé, mécanisé, réparé… Tomi l’Alchimiste ne cherche pas à donner vie et perfection aux corps impurs ; au contraire, il veut aboutir — par son Grand Œuvre — aux transformations les plus mystérieuses, et créer les êtres les plus étranges. Il a constitué par ailleurs une collection de bizarreries en tout genre qu’il emploie ingénieusement dans ses sculptures. Pas de pierre philosophale chez Tomi mais un morceau de roche qui semble nous observer avec dédain derrière ses lunettes de soleil, un sourire malin aux lèvres (une simple fissure dans la matière)…

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Tomi Ungerer, Sans titre, 0 Courtesy de l’artiste et galerie GP & N Vallois, Paris

De « métamorphose » on glisse donc vers la « fantaisie » fantasy — ce genre littéraire qui mêle mythes, légendes, merveilleux et fantastique ; tout ce qui concerne l’imagination. Ainsi, les animaux s’humanisent, les hommes et les femmes s’animalisent : avachi dans un fauteuil, un crocodile regarde la télévision, n’ayant pas encore quitté son costume de PDG ; une femme en petite tenue, portant bas et talons hauts, se voit transformée en cygne dont le long cou passe malicieusement entre ses jambes, soulevant encore un peu sa robe. Rien ni personne n’est épargné par l’œil et l’esprit de Tomi. « Les rouages de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg ont modelé mon cerveau, expliquant l’origine de mes élucubrations » ; ainsi les femmes se changent en mosquées ou cathédrales, dont la série de colonnes du portail ou de palmiers du parvis servent de porte-jarretelles, les rosaces de bustier, et la porte — il en va sans dire — ingénieusement placée, invite à entrer dans la « maison de dieu ».

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Tomi Ungerer, Untitled, 0 Courtesy de l’artiste et galerie GP & N Vallois, Paris

Comme un nuage quise transforme inlassablement, le Grand Œuvre de Tomi ne se répète jamais, lui qui se laisse guider par le doute — le « pourquoi pas », dit-il — qui ouvre toutes les portes de la pensée. Mais l’artiste s’écarte surtout de tout réel, peut-être du « fait que nous sommes dans un monde irréparable », à l’image du piano qui perd ses touches une à une dans une avalanche noire et blanche… ou bien de la voiture, faite d’os, qu’un homme tente de réparer. « Vivre, c’est apprendre à mourir », explique Tomi.

Pour les alchimistes, la mort est aussi importante que la vie dans le processus de transformation, elle est le point de départ. Ensuite, vient le temps de la purification et de la recombinaison, permettant d’atteindre l’union parfaite, la fusion. Même les métaphores se voient métamorphosées. Tomi passe de l’anthropomorphisme à la transhumanisation avec une facilité déroutante et sans scrupule, et s’intéresse aux entre-deux, aux interdits ; le résultat est une « instabilité [déconcertante] des classifications »1.

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Tomi Ungerer, Tomi Ungerer, Helena Rubenstein (Herself), 0 Ink and Conte on translucent paper — 12 9/16 × 9 1/4 inch Courtesy de l’artiste et galerie GP & N Vallois, Paris

Ainsi ce qui était mort devient vivant. Tomi, qui rappelle qu’il est né avec la mort, n’ayant que très peu connu son père — grand horloger — a d’une part toujours ignoré le temps, et del’autre, a entretenu un rapport ambigu, parfois jouissif avec la représentation de la mort. Elle est partout, à la fois discrète, enveloppante, moqueuse, encombrante. Dans son œuvre, elle est le commencement mais aussi la fin qui annonce l’ultime transmutation. Elle est ce vide qu’on imagine très bien au bout d’une falaise sur laquelle un squelette, doté d’une paire d’ailes et de lunettes d’aviateur, s’apprête à faire le grand saut ; elle ricane aussi derrière son nez de clown et donne sa dernière bénédiction sous sa robe de curé. Mais elle est surtout cette ombre noire qui nous suit partout, et de façon plus métaphorique encore, cette porte grande ouverte sur un paysage montagneux où l’eau ruisselle, en un long fleuve tranquille.

Agate Bortolussi

1 Roland Barthes

06 St Germain Zoom in 06 St Germain Zoom out

33/36, rue de Seine

75006 Paris

T. 01 46 34 61 07 — F. 01 43 25 18 80

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Tous les jours sauf le dimanche de 10h à 17h

L’artiste

  • Tomi Ungerer