Varda Caivano, Marie Cool Fabio Balducci — Is resistance Useless ?

Exposition

Film, installations, peinture

Varda Caivano, Marie Cool Fabio Balducci
Is resistance Useless ?

Passé : 2 février → 31 mars 2012

Capture d cran 2012 02 28 19.28.33 grid Is Resistance Useless ? à la galerie Marcelle Alix La mise en regard des œuvres de Varda Caivano avec les œuvres de Marie Cool et Fabio Balducci audacieusement orchestrée par l’expos... 2 - Bien Critique

Le lecteur devra négocier avec une suite de figures non exhaustive dont nous nous servons, comme d’un espace projectif, pour approcher les œuvres de Marie Cool Fabio Balducci et Varda Caivano. La belle opacité de leur travail respectif a stimulé notre désir de décrire des nuances. Dans cette apparente discontinuité, nos pensées et celles d’auteurs qui nous sont chers se joignent pour saisir notre plaisir dans ces images fixes et mobiles, qui semblent lutter contre la pétrification. L’abstraction des tableaux et dessins de Varda Caivano et celle des gestes filmés de Marie Cool au contact d’objets précaires, n’est pas feinte. C’est une abstraction qui tombe véritablement hors langage.

Résistance

Quelle est la place accordée à la vie intérieure aujourd’hui? Le rapport entre une société répressive et la fuite mélancolique mérite toujours d’être examiné. L’historienne de l’art Anne Larue, dans un ouvrage consacré à l’acedia, trouve son origine chez les moines solitaires des déserts d’Égypte de la fin du troisième et au début du quatrième siècle de l’ère chrétienne. Elle est une forme réduite à l’essentiel de la mélancolie, et sera supplantée par la mélancolie noble de la Renaissance: la melancolia generosa, associée à la douloureuse condition du génie. C’est l’acedia radicale, cette « force obliquement subversive », celle des textes monastiques du Moyen Âge, répondant à une incroyable oppression, qui nous intéresse. Les Pères de l’Eglise (en particulier les évêques qui ont largement contribué à établir et défendre la doctrine chrétienne) combattaient pour que s’éloigne le spectre de la vie intérieure, pour que s’éteigne la vie intellectuelle. Tous les textes monastiques de cette époque regorgent d’allusions à l’exigence de garder la cellule, et nombreux sont les exemples de moines ayant développé à travers l’acedia la possibilité de se représenter leur expérience dans leur esprit, et celle de ne pas borner leur désir, ni leur ennui. Se préférer soi-même à la nation et à l’État, être davantage qu’une simple cellule dans le corps collectif: la mélancolie aura toujours la fonction essentielle de contre-pouvoir.

Action

Une pétroleuse. Voici comment je me figure le rôle de Marie Cool au sein du duo Marie Cool Fabio Balducci. Une femme d’action, littéralement. Une incendiaire. Si l’on peut évoquer la délicatesse, le soin avec lequel Cool s’empare des objets et les manipule, il ne serait pas juste de manquer la violence contenue de ses gestes. Cette répétition de gestes c’est ne pas réfléchir, le barrage à la parole, le moment où seule l’action sera efficace. Contre le discours et la virtuosité, l’artiste se place du côté du travailleur, de l’agissant, du résistant. Comme une opposition à ce qu’on voudrait en faire, à la façon dont on pourrait se l’approprier, cette répétition est un temps fermé, qui s’impose aux spectateurs. Une prise d’otage.

Main

Cinq rameaux osseux. Elles se serrent étroitement pour former un bloc compact, un vrai rocher d’os. (Henri Focillon, Eloge de la main, Quadrige/ Presses Universitaires de France, 1996, p. 104/105)

Erotisme — rituel

Le corps de Marie Cool épouse les objets manipulés : le fil, les crayons, les mouchoirs en papier repliés, la feuille. Ces procédés très simples, présentés sous forme de films courts, sont les manifestations d’un système que l’on pourrait qualifier d’érotique : le corps ne forme plus qu’un avec les objets. Les séries de gestes renouvelés jusqu’à en devenir hypnotiques expriment une volonté de continuité (le cœur de la relation érotique selon Georges Bataille) : la dissolution des relations sociales et des êtres constitués pour ne former plus qu’une boucle continue. Les objets apparaissent comme de simples prolongements du corps, utilisés pour leur propriété intrinsèque.
De l’érotisme des corps, à celui des cœurs, à l’érotisme sacré : c’est par le rituel que nous essayons de prouver la possible continuité de l’être humain, que nous conjurons notre discontinuité. Cette boucle fermée corps-objet agit comme un mantra, par lequel nous touchons à l’infini. Le sacré dont il s’agit là est plus proche de celui que Durkheim étudie dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, que de celui de Buddha. Il est une manifestation de notre société. Marie Cool serait une pythie moderne, entraînée à exprimer l’essentiel de notre monde. Par ses gestes d’ouvrière qualifiée, remettant cent fois l’ouvrage sur le métier, elle exprime une certaine vérité contemporaine, universelle et essentielle.

Arte Povera

La pauvreté doit être entendue comme une simplicité franciscaine (Luciano Fabro)

Poésie

La poésie comme expression d’une continuité désirée (toujours l’érotisme de Bataille) est à l’œuvre dans les peintures de Varda Caivano. Les mots de Rimbaud « C’est la mer / Allée avec le soleil » trouvent une équivalence dans ces motifs qui recouvrent d’autres motifs abstraits. « Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité ». Les toiles de Caivano recèlent bien des mystères, que seuls les initiés d’un culte inconnu sont capables de déchiffrer. Si le travail de Cool Balducci s’apparente à des rituels d’origine païenne, celui de Caivano serait plutôt de l’ordre des cultes à mystères orphiques, dans lesquels l’initiation mène à une clairvoyance toujours plus grande, peut-être celle du poète « voyant » rimbaldien. « Il y a l’idée, dans les peintures de Caivano, de quelque chose qui est recherché, mais qui n’est pas tout à fait trouvé » (Jennifer Higgie, Frieze, 2005): comme un processus initiatique dans lequel l’artiste jouerait le rôle du passeur.

Forme
Comment parle-t-on de la forme sans parler de choses en-dehors d’elle ? L’autonomie de l’œuvre d’art, n’est-ce pas quelque chose de tout bonnement haïssable ? Cela ne revient-il pas à parler de son « pouvoir » ou bien du « génie » intemporel de l’artiste ? Ou bien ne confondons-nous pas là plusieurs choses ? En effet, il existe peut-être des œuvres qui se suffisent à elles-mêmes, qui n’ont pas besoin d’être racontées et qui pourtant portent une pensée politique. Elles sont monolithiques, non narratives, et c’est l’incapacité de les traduire en discours qui en font le meilleur instrument politique, l’expression de la liberté la plus absolue : celle d’être exactement soi, de ne pas avoir besoin de se justifier, de ne pas avoir à épouser un modèle. C’est la capacité des travaux de Caivano et Cool Balducci à être exactement eux-mêmes en-dehors de toute conception sociale de l’art ou de l’artiste qui les a rassemblés dans cette exposition. Car il me semble que ce que nous voulons aujourd’hui, et ce qui nous semble si difficile, c’est cela : comment faire pour vivre dans le monde et se laisser imposer le moins possible par l’absurdité de notre façon de le concevoir ? Comment être libre et devenir soi-même quand des nations entières sont liées jusqu’à leur perte à des structures aussi absconses et immatérielles que « les marchés financiers » ? Comment se placer en-dehors du système pour le repenser, ou comment « changer le monde » sans en créer un nouveau ? Les systèmes clos de Caivano, comme de Cool Balducci constituent de nouveaux mondes, sans programme. Des choix radicaux qui semblent s’exempter de toute volonté de communiquer autrement que par une forme qui s’impose à nous.

Varda Caivano (1971, Buenos Aires) travaille à Londres. Diplômée de Goldsmith et du Royal College of Art, elle a participé au dernier British Art Show (2011). Son travail a été l’objet de plusieurs expositions solo : au Kunstverein Freiburg (Allemagne) en 2006, à la Chisenhale Gallery (Londres) en 2007 ainsi que dans les galeries Victoria Miro (Londres).

Marie Cool Fabio Balducci travaillent ensemble à Paris. Leur travail a été exposé à La Maison Rouge, Paris et à Attitudes, Genève (cur. Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser) en 2008, à la South London Gallery en 2009, au CAC Brétigny (cur. Pierre Bal-Blanc) en 2010 et à la Villa Medicis, Rome (cur. Eric de Chassey) en 2011.

Remerciements : Émilie Catalano, Patrick Scemama, galerie Victoria Miro, Londres et castillo/corrales, Paris.

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