DIS] PLAY OFF [LINE
Exhibition
DIS] PLAY OFF [LINE
Past: April 10 → May 30, 2021
L’exposition collective Dis] Play Off [Line — qui investit la Galerie Haute sur les mois de printemps dans une forme de latence annonciatrice d’un possible renouveau –, se présente comme une réactivation, un redoublement programmatique, du fil de la saison artistique qui lui prête son nom. Composée d’œuvres d’Antoine Chapon, cylixe, Pierre Pauze et Marion Roche — quatre jeunes artistes dont trois n’étaient donc initialement « pas prévus au programme » –, elle fait office de véritable manifeste reformulé de l’année artistique du centre d’art au gré d’un déploiement microcosmique où l’on croise aussi des réminiscences de Figure[s] et des prémices de la saison prochaine. Au fil de quatre voyages singuliers dont les dispositifs — qu’ils soient d’installation multimédia ou de projection vidéo — reposent sur une relation intrinsèque entre lumières et obscurités, Dis] Play Off [Line invite à parcourir les méandres de réalités et de fictions qui déploient des natures et degrés variables de virtualités. (Ré)empruntant le chemin marqué des lucioles, le visiteur est ainsi incité à (ré)adapter son regard, se (ré)approprier son corps, (ré)activer sa mémoire, entre désorientations et réorientations, tâtonnements et fulgurances, opacités et épiphanies.
Pharmakon — Le charme de la discrétisation (2020) de Marion Roche (née en 1990, vit et travaille à Lyon, Berlin et Grosseto) est la première œuvre signalée dans et par la scénographie. Elle peut néanmoins être appréhendée indépendamment de la mise en boucle programmée qui organise l’activation des trois autres displays. Cette rupture inscrite au sein même de la programmation permet des visites aux temporalités et trajectoires multiples, entre continuités et discontinuités, libre arbitre et choix déterminés. On retrouve cette idée de parcours tout autant induit qu’aléatoire à l’échelle de l’œuvre de Marion Roche dans laquelle l’artiste structure quatre aires d’immersion qui font indirectement écho aux quatre espaces de l’exposition et aux quatre gestes qu’ils accueillent.
Installation à la fois prototypale et protocolaire mêlant arts numériques, musique, sculpture et philosophie esthétique au sein d’un dispositif évolutif, Pharmakon ouvre, à la faveur d’un procédé de réalité virtuelle, sur un monde qui repose sur une modélisation métaphorique du cerveau humain. Par le biais d’une forme d’embodiment, le visiteur est invité à participer à un voyage sensible et sensoriel, physique et mental, au sein des aires du langage et de la raison, de l’audition, de la proprioception et de l’équilibre et, enfin, de la mémoire. Fonctionnant comme un méta-niveau contemplatif, cette dernière synthétise graphiquement celle des mouvements effectués par le visiteur au cours de sa découverte des trois autres aires, lui permettant ainsi d’accéder à la visualisation d’une mémoire de son expérience. Marion Roche instaure alors — à travers ces miroirs tendus qui donneront lieu à des formes matérialisées de restitutions au terme de l’exposition* — un riche dialogue entre expérience et mémoire de l’expérience, immatérialité et matérialité. Développant tout en les interrogeant les conditions d’existence de ces voyages comme de leurs mémoires qui sont autant de cartographies mentales, Marion Roche poursuit avec Pharmakon une réflexion autour du concept « d’ontologie relationnelle » qui met en avant le caractère intrinsèquement mouvant du façonnage de l’identité humaine. Entre immersion et projection, dédoublement et décollement de soi, individualités et dividualités, délimitations et prolongements, réalités et fictions, l’artiste-chercheuse définit les termes d’une expérimentation presqu’intégralement designée en noir et blanc. Une dualité apparente qui, tout en découlant de nécessités techniques, souligne l’ambivalence des technologies numériques dans les processus de construction identitaire : tout autant poison qu’antidote.
On retrouve cet intérêt pour des formes de dédoublement par le biais du voyage dans 16bit:wolf (2021, 35’), création de l’artiste berlinoise cylixe. Issue d’un projet de résidence**, cette fiction narrative portée par une mise en scène multimédia située aux confins des arts numériques, de la musique, de la poésie et de la sculpture, place le visiteur dans l’assistance d’un concert live. Cette « performance » audiovisuelle est « incarnée » par un groupe de musique composé d’une voyageuse spatio-temporelle — double de l’artiste dont la présence est littéralement démultipliée sur scène en trois « clones » — et d’une intelligence artificielle répondant au nom de 16bit:wolf. En façonnant ces persona et autres avatars dont elle questionne en les travaillant les conditions mêmes d’existence, cylixe orchestre une véritable mise en écho imaginaire et dédoublée de la collaboration artistique au long cours entreprise avec la forme d’intelligence artificielle hybride qu’elle développe et alimente en croisant des algorithmes spécialisés dans le machine learning avec des réseaux de génération de contenus tels qu’OpenAI, Github ou encore Google. Transformant ainsi le médium en véritable instance créatrice que l’on pourrait considérer à la fois comme le miroir déformant et le reflet déformé de l’artiste, cette dernière arrange des contenus multimédias à l’esthétique duale au sein d’une autofiction où s’entremêlent mises en miroir et en abîme à la faveur de télescopages spatio-temporels.
Il est aussi question d’avatars, de mises en miroir et de télescopages spatio-temporels dans Laxt Memory (2017, 26’10’’), court métrage de fiction de Pierre Pauze (né en 1990, vit et travaille à Paris). Associant les codes du thriller de science-fiction à ceux du jeu vidéo GTA travaillés en trompe-l’œil, le cinéaste et plasticien met en scène, au cœur d’univers urbains aux décors aseptisés et standardisés, l’expérience tentée par son personnage principal, Théo Colbert, qui accepte de participer à l’essai d’une thérapie génique expérimentée par une fondation privée. La thérapie proposée fonctionne sur un principe de réalité virtuelle dont le but est de permettre au sujet d’atteindre une forme de vie éternelle et prospère, le faisant accéder — en associant propriétés mémorielles de l’eau et modifications génétiques — à une version soi-disant améliorée de lui-même projetée dans un univers parallèle fantasmé. Il devra seulement veiller à maintenir un niveau minimal de contacts avec des sources externes d’eau, pour éviter toute forme préjudiciable de déstabilisation du processus. Au fil de la narration comme de l’eau, perturbations du récit et de l’expérience s’entremêlent et se superposent. Alternant récit de l’_expérience en train de se vivre_ et témoignage de l’_expérience vécue_, passages narratifs, contemplatifs et symboliques, espaces-temps singuliers et continuum, simultanéité, flash-backs et flash-forwards, Pierre Pauze confronte, au sein d’une œuvre cinématographique profondément hybride, des esthétiques et des codes différents comme des niveaux, des modes et des temporalités de récits et de perceptions variés. Enrayant et débrayant ainsi les mises en récit et en jeu, il souligne le sentiment de perte de contrôle — d’identité, de mémoire — de son personnage en prise avec une forme d’enfermement qui semble sans fin, entre utopie et dystopie, réapprentissage et dépossession de soi, suicide virtuel et renaissance avortée.
Il s’agit aussi pour Antoine Chapon (né en 1990, vit et travaille à Paris) de questionner une forme de dispositif thérapeutique dans le court métrage documentaire My Own Landscapes (2020, 18’42’’) qui met en scène le témoignage d’un vétéran de l’armée américaine et ancien designer de jeux vidéo. Partant du constat que les simulations et scénarii de géo-ingénierie militaire mis en place, entre autres, par les armées françaises et américaines traitent malheureusement sur le même niveau les phases d’entraînements et les processus de guérison de chocs post-traumatiques auxquels il est sujet, l’ancien soldat a décidé d’élaborer sa propre thérapie, sa propre version du « jeu ». Il y (re)définit sa vision du monde : une vision sensorielle où action et contemplation fusionnent. Délaissant peu à peu les fantaisies militaires afin de se rêver en promeneur solitaire, il design comme il désigne ses propres paysages : ceux d’une nature utopique, foisonnante, tantôt dépeuplée puis repeuplée, mais néanmoins la plus réaliste possible. Antoine Chapon nous livre ici les principes de cette (re)définition à travers une autre version du jeu personnalisé, dédoublée insidieusement par ses soins. Entre structure d’ensemble et souci du moindre détail, cette double reprise du geste créatif procède à une (ré)orientation du regard et à une (re)conquête de soi par le monde. Faisant alterner ces immersions en focalisation interne dans l’expérience du jeu vidéo doublement personnalisée, avec des vues impersonnelles sur fond noir de l’ancien militaire en uniforme — qui rappellent les interfaces d’habillage d’un personnage de jeu vidéo –, Antoine Chapon introduit une porosité entre les différentes strates de récits, de réalités et de réalités virtuelles qui composent ce témoignage redoublé dont la narration est par ailleurs portée par une voix féminine. Il renforce par là même la mise en miroir des (re)constructions identitaires du vétéran et de ses paysages — dans lesquels le spectateur est invité, lui aussi, à s’immerger –, tout comme l’aspect profondément multifocal du récit de ce processus thérapeutique singulier, entre limites et bienfaits, pertes, résurgences et redécouvertes, dépossession et de repossession de soi, déconstruction et reconstruction d’une identité fragmentée et fragmentaire, isolement profond et partage de l’expérience.
Entre fictions et réalités, contemplations et participations au geste artistique, perceptions et alimentations des œuvres, individuel et dividuel, l’exposition Dis] Play Off [Line exploite la porosité déstabilisante des frontières physiques, virtuelles et mentales au gré de narrations vertigineuses qui se contractent parfois brutalement à la faveur de phénomènes de surface pour réactiver nos attentions. À partir de la mise en dialogue de quatre œuvres qui, dans le jeu de leurs ressemblances et de leurs différences, questionnent les notions de l’altérité et du même, du double, du décollement et de la projection de soi au travers de récits, de mises en récits ou encore de prises en charge de récits d’expériences plus ou moins partageables et partagées, elle nous encourage tout autant à lutter contre des formes d’invisibilités, de dépossessions, d’inerties et d’oublis expérimentées ces derniers mois de manière intime et collective, depuis le repli sur soi jusqu’à la démultiplication de l’expérience numérique.
AUTOUR DE L’EXPOSITION
>> Impression 3D performée par Marion Roche, le samedi 29 mai
- Depuis la date d’ouverture de l’exposition jusqu’à son finissage prévu le 29 mai prochain, Marion Roche choisira une modélisation par semaine parmi toutes les mémoires de visiteurs retranscrites dans l’aire de la mémoire et compilées grâce au dispositif connecté de son installation. Les modélisations sélectionnées feront l’objet d’une restitution sous la forme d’impressions 2D et 3D qui viendront compléter son installation au sein de la Galerie Haute le jour du finissage. Le même jour, l’artiste proposera un temps performé d’impression 3D de l’une de ces six mémoires. Générant la méta-sculpture filaire d’un cerveau virtualisé, Marion Roche renouera ainsi avec son geste de sculpteur en actant d’une matérialité jusque-là contenue en puissance.
Suivez régulièrement notre compte Facebook pour connaître les 6 choix de Marion Roche parmi les modélisations de mémoires collectées avant de pouvoir les découvrir le 29 mai !
>> Studiolo — cylixe — Artiste en résidence
- Dans le cadre de leur cinquième saison artistique, Les Tanneries — Centre d’art contemporain ont accueilli en résidence l’artiste berlinoise cylixe pour accompagner la création de l’œuvre multimédias 16bit:wolf qui constitue la suite d’un projet antérieur de fiction narrative intitulé ulteriorflux.
Pour en savoir plus sur ce projet de résidence et ses différentes étapes, consultez le STUDIOLO qui lui est dédié !
>> L’affiche-programme
Découvrez le texte d’Éric Degoutte, texte du commissaire de l’exposition, dans l’affiche-programme qui lui est consacrée !