Ernesto Sartori — Quand deux deviennent un
Exposition
Ernesto Sartori
Quand deux deviennent un
Passé : 1 mars → 22 avril 2013
Faisons un bond de trois ans en arrière. Pour l’exposition de groupe Moon Star Love , nous avions rassemblé huit jeunes artistes dont la pratique nous semblait annonciatrice du programme de la galerie. À cette occasion, Ernesto Sartori nous initiait aux règles fondatrices de l’univers qu’il entendait créer : la pente dont il était tombé amoureux peuplait ses sculptures murales, assemblages abstraits et peintures sur bois, sur lesquelles les activités de deux protagonistes Gary et Duane, allaient se retrouver répertoriées presque quotidiennement.
Dans la peinture intitulée Le Baiser de la mort (2009), Gary et Duane (initialement Gauche et Droite ) combattaient à mort. Le travail d’Ernesto Sartori se révélait dès lors à double sens : un vocabulaire formel élaboré autour de calculs vectoriels, de modules à la symétrie précise et une narration qui, empruntant au manga ou au récit d’anticipation, définissait un monde parallèle au nôtre. Hervé (2011) ou RV (rouge et vert), mi-personnage monté sur deux pattes coniques, mi-cellule d’habitation pour une personne, incarne parfaitement cette dualité. Gary et Duane fonctionnent aussi comme une allégorie de la bipolarité. Une œuvre qui, de façon surprenante, tient à la fois du foisonnement et de la rigueur, du chaos et de la logique. L’exposition Quand deux deviennent un donne la possibilité à Ernesto Sartori d’affirmer clairement sa position d’auteur. Animé par ce que l’on pourrait nommer une révolte logique, il combine la rationalité des calculs de l’architecture prospective et le chaos narratif d’un univers fictionnel. Sans complexe et sans essayer d’être particulièrement lisible, il entretient une multiplicité des points de vue et d’échelles. Il atteint ainsi les signes d’une certaine maturité : la capacité à parler de sa propre voix, sans cesse renouvelée — potentiellement créatrice d’une impression de dissonance, de chaos, de perturbation de l’ordre établi — et l’élaboration d’une logique interne. Cette logique, épine dorsale de l’œuvre, l’artiste en garde souvent les clefs. Il n’est pas nécessaire de l’expliciter — comme il n’est pas nécessaire de comprendre exactement quels calculs mathématiques sous-tendent ses assemblages de formes géométriques — c’est pourtant elle qui rend le travail accessible et lisible, même sous la forme d’objets isolés.
Je me suis souvent demandé comment se vendent la plupart des œuvres qui se trouvent sur le marché de l’art, ces fétiches, ces objets partiels, qui peinent à représenter une démarche artistique complexe et singulière. L’erreur est justement d’imaginer que ces objets seraient à même de représenter quoi que ce soit. Au contraire, pour fonctionner en tant qu’œuvres, ils doivent s’inscrire dans une continuité avec la démarche de l’artiste et pouvoir procéder du même chaos, de la même révolte contre les normes que l’ensemble du travail. Les œuvres d’art que j’apprécie ne fonctionnent pas tant sur le mode de la synecdoque — partie représentant le tout — que sur la possibilité de contenir en elles tout le potentiel révolutionnaire d’un travail artistique. J’estime la capacité d’Ernesto Sartori à s’exprimer à toutes les échelles : de l’environnement totalisant réalisé lors de sa première exposition à la galerie (La Fureur de l’atome, 2010) aux maquettes qu’il montre aujourd’hui. Que l’on aime avoir un rapport concret aux objets, à leur matérialité et leurs couleurs délicates ou que l’on préfère y voir la possibilité d’un projet monumental, il me semble que le travail de Sartori peut être apprécié pour ses différents sens de lecture, sans que ceux-ci ne se contredisent. Avec ce travail, on peut admirer de la même façon, et dans une harmonie qui lui est propre, les figurines de dinosaures et la discontinuité du langage architectural de Claude Parent, les récits absurdes de Kurt Vonnegut et la poésie des chansons des Spice Girls.