Roman Cieslewicz — Visualiste
Exposition
Roman Cieslewicz
Visualiste
Passé : 16 juin → 28 juillet 2018
Roman Cieslewicz est en nous. S’il est encore possible de ne pas savoir son nom, il est en revanche impossible de ne pas connaître ses images. Artiste majeur de la scène graphique de la seconde moitié du XXe siècle, Roman Cieslewicz (1930-1996) a façonné l’imaginaire collectif et imprimé son style au plus profond de la rétine de tout spectateur promenant ses yeux en France à partir des années soixante et après.
Artisan du succès de la revue de mode polonaise Ty i ja, il est engagé à son arrivée en France en 1963 par Peter Knapp pour moderniser la maquette de Elle, puis enchaine les commandes pour Vogue, les éditions 10/18, plus tard pour Libération, Le Monde, etc. En 1967, il accompagne la naissance d’une nouvelle revue d’art contemporain, Opus International, dont les couvertures, devenues des icônes, sont toujours en circulation aujourd’hui. Il a dessiné les formules graphiques des expositions « Paris/… » (Berlin en 1978, Moscou en 1979, Paris en 1981) du Centre Pompidou, et a publié un livre sur Che Guevara qui continue à faire date.1
Roman Cieslewicz n’est pas seulement l’incarnation de la modernité des années soixante et soixante-dix, il est de ceux qui l’ont créée et dessinée, réussissant la synthèse de l’époque grâce à sa perception affûtée. Son goût pour la forme élémentaire et le traitement accusé des contrastes, le rapport mot-image érigé comme valeur cardinale et son extrême attention à la typographie, ont forgé son style, reconnaissable, novateur et iconique. Si le noir et blanc soulignés d’une touche de rouge sont reconnus comme sa signature, le hiatus ou la rupture forment aussi un trait distinctif de son style.
Surtout, Roman Cieslewicz est connu pour sa boulimie d’images. Collectionneur de tout support, il fut dans le même temps, gazettophile, Jocondophile, pictopublicéphile, phlogophile, glycophile,2 comme nous le rapporte son ami François Barré. Cette ardeur se retrouve par exemple dans les collages tels que Harem, où d’un seul coup d’œil, il est possible d’embrasser une grande collection. À l’origine, le photomontage Harem a été réalisé en 1969 pour la campagne de promotion de Prisunic, confiée à l’agence M.A.F.I.A., à laquelle Cieslewicz était associé. D’abord imprimé sur des objets de communication, Harem, avec la versatilité habituelle des images de Cieslewicz, a rapidement contaminé d’autres supports. Cette porosité naturelle entre travaux de commande et pratique d’atelier, achève de confirmer la position d’auteur de Cieslewicz ; graphiste-artiste, il préférait se désigner comme « visualiste » ou membre de la « confrérie des artisans de l’image ».
Pour autant, à ce bombardement, à ce trop-plein d’images succède au début des années 1970 sa tendance plus frugale d’« aiguilleur de la rétine », avec son célèbre visuel « Zoom contre la pollution de l’œil ». C’est le début des collages centrés auxquels appartiennent Arturo, Acupuncture, Arrabal, Cérès Franco ou Bobby Fischer, monstres cyclopéens dont l’œil, trop unique, dérange. Œillade au manifeste « ciné-œil » de Dziga Vertov, l’œil est le motif central, absent ou au contraire appuyé, comme dans la si célèbre affiche du Che, où il est remplacé par « CHE SI ». « Cieslewicz fut avant tout un œil, écrivait Amélie Gastaut, cet œil qui s’efforce de regarder la réalité en face. »3 Irréductible artisan — même après l’apparition des outils numériques —, Roman Cieslewicz œuvrait avec les moyens les plus simples, ciseau, pinceau et colle, et un certain bonheur de l’accident et des imperfections, provoquées par l’impatience ; « le geste, le crayon répondent plus vite à mes idées que n’importe quel outil mécanique. » Effet miroir, symétrie, parallèle, répétitions, rognage de l’image en son centre, agrandissement ou réduction, aplatissement, découpage, juxtaposition ou multiplication, dans un sens ou dans l’autre, nivellement des gris, forçage des contrastes, détramage et retramage, accentuation, stylisation, travail au trait, aplats. Toutes les opérations y passent, toute la suite graphique est démontée puis remontée.
Si la réitération de l’image est une constante de l’œuvre, les photomontages, à l’instar de Party ou Gâteux aux bas Dim constituent aussi un pan important, plus intime, plus personnel, plus engagé aussi. Héritier des collages des maîtres, tels Max Ernst et Kurt Schwitters, ou des photomontages constructivistes d’Alexander Rodchenko, Roman Cieslewicz renouvelle le genre en utilisant notamment les moyens de reproduction et l’iconographie populaire de son époque. On l’associe souvent à son aîné Bruno Schulz — avec qui il partage une certaine poésie mélancolique et dont il a défendu l’œuvre —, mais aussi dans un tout autre esprit à ses comparses Roland Topor, Fernando Arrabal et Alessandro Jodorowski, réunis au sein du groupe Panique, fondé en 1960. Dans son prolongement, Roman Cieslewicz crée en 1976 Kamikaze, la revue d’information Panique4.
L’humour noir et la causticité acerbe infuse chaque œuvre, à l’instar de B.B. Phoques. Tenant d’une grivoiserie très hexagonale, plus fétichiste que véritablement active, Dorothée, Garçon I, Party et Pied Panique en remontrent au voyeur. « Je suis un pirate, dit Roman Cieslewicz, mais un pirate qui participe à un nouvel alphabet des médias […] Une image qui ne choque pas, ça ne vaut pas la peine . » À l’instar de sa production globale, cette exposition est foisonnante, les signes circulent, rebondissent d’une image à une autre, les désirs et les peurs jaillissent et parfois explosent au visage. De ces « attentats visuels », Jean-Christophe Bailly dit : « Ce qu’on voit n’est pas fait pour plaire, ni pour passer, mais pour rester, et les images prises au piège qui les met en page et à nu tombent ou retombent sous le sens . »5 Attention, Panique !
Laetitia Chauvin
———
1 Roman Cieslewicz, CHE, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1968, 48 pages
2 Le pictopublicéphile collectionne les images publicitaires, le phlogophile les flammes postales, le glycophile les emballage de sucres individuels.
3 Amélie Gastaut, “L’itinéraire de Roman Cieslewicz”, dans l’ouvrage collectif publié à l’occasion de l’exposition au musée de Grenoble en 2001 (éditions Réunion des Musées Nationaux
4 Trois numéros publiés en 1976, 1991 et 1994.
5 Jean-Christophe Bailly, cahier publié par Edition Magik, Paris, 1987, à l’occasion de l’exposition “Pas de nouvelles, bonnes nouvelles” de Roman Cieslewicz à la galerie Jean Briance (Paris)
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous
Programme de ce lieu
L’artiste
-
Roman Cieślewicz