Rui Moreira — The Passengers
Exposition
Rui Moreira
The Passengers
Passé : 12 mars → 28 mai 2022
Rui Moreira — Galerie Jeanne Bucher Jaeger Avec une dizaine d’œuvres, l’exposition The Passengers de Rui Moreira à la galerie Jeanne Bucher Jaeger met en avant la sobriété d’... CritiqueLa galerie est heureuse de consacrer une nouvelle exposition personnelle à Rui Moreira, intitulée The Passengers, présentant les dessins de l’artiste réalisés au cours des deux dernières années.
Depuis 2008, la galerie lui a dédié plusieurs expositions personnelles et a accompagné nombre de ses expositions au sein d’institutions internationales : le Mudam Luxembourg en 2014, le Musée de la Ville de Lisbonne en 2016, le Centre International des Arts José de Guimarães en 2017, la Fondation Fosun à Shanghai en 2018, la Fondation Berardo à Lisbonne en 2019.
The Passengers
Cette série de dessins fut créée dès le premier confinement en 2020, alors que le monde était ébranlé par la pandémie, avec l’injonction de rester chez soi, soumis, pour seule relation avec l’extérieur ou presque, à l’avalanche quotidienne du nombre de victimes de l’épidémie.
C’est dans ce contexte de sidération, de pesanteur, et d’inquiétante étrangeté liée à cette énumération anonyme que l’artiste donna naissance, en forme d’hommage, à ces Passengers.
Redonner visibilité, vie et dignité à ces passagers devenus invisibles, lointains, emportés dans la tourmente d’un océan silencieux et glacial de chiffres indifférenciés sans visage ni corps…
Retrouver l’unité dans la multiplicité. Voir la multiplicité dans l’unité.
The Passengers, ce sont ces êtres infiniment petits, légers, à l’apparence évocatrice du sarcophage égyptien ou encore du nouveau-né dans certaines traditions indiennes, entre mort et vie, que l’artiste assemble, rassemble, en une forme, et force, ascensionnelle. A la pesanteur ambiante, Rui Moreira répond par l’apesanteur, et la légèreté du trait, des contours, du dessin ; il nous invite à un regard conscient et recueilli face à ces Passengers semblant défiler par centaines de milliers, et s’éloigner, à perte de vue, dans un profond silence. Bach, et le silence, accompagnaient l’artiste lorsqu’il créa la série de ces six Passengers, six visions teintées d’une certaine irréalité, à l’image de ces mirages dans le désert que l’artiste connaît intimement pour l’avoir vécu tant de fois. Nomades, dans une procession sans début ni fin, s’effaçant peu à peu, au loin…
Cathedrals of Wind
Le désert a toujours été source intense d’expérience et d’inspiration pour l’artiste qui y fit 12 voyages, pendant de longues périodes, notamment dans le désert du sud marocain. Vivre l’extrême, la chaleur, la lumière, l’exigence, le dépouillement, le temps devenu aussi vaste que l’espace, la temporalité même abolie par l’infini qui s’offre à perte de vue… Se mettre, corps et âme, à l’épreuve des éléments, retrouver cet état d’éveil et de disponibilité viscéral à tout créateur, créer depuis cet autre espace-temps taillé de sable, de soleil et de silence …Le dessin est organique chez l’artiste.
Bien que nous voyagions dans un paysage de mort, presque pas de vert, seulement des rochers et du sable, notre corps était toujours en état d’alerte à cause de la température élevée et de nombreux autres risques (…) on se sentait étrangement plus vivant par contraste.(…)
(…) Un jour de grande chaleur, il y a eu une petite tempête de sable toute la journée et j’ai continué à dessiner. Quelques heures après, j’ai ressenti des symptômes d’insolation. J’ai réalisé que ce paysage tout autour de moi, était en constante évolution, le vent sculptant et déplaçant les dunes. À la fin de la journée, j’avais du sable jusqu’aux genoux.
Durant ces deux dernières années, ses expéditions furent inévitablement interrompues, et c’est depuis l’intériorité que l’artiste retrouva la sensation si familière du désert, le vertige de la sensation, la lumière et le vent sculptant le sable dans un mouvement ininterrompu, infini. Eriger en soi des Cathédrales de Vent.
C’est à partir de photographies de la Cathédrale des Vents dans le désert du Namib, immense formation de sable dont les dérives de l’Océan Atlantique seraient à l’origine il y a 60 à 80 millions d’années, que Rui Moreira a imaginé cette série de dessins.
De ces photographies, il en extrait le négatif, en dessine seulement les ombres, en bleu ; les dunes, et leur grandiose verticalité, sont l’espace non dessiné, l’espace vierge de la feuille de papier. Le plein et le vide, l’ombre et la lumière. Dans les trois dessins de cette série,une évolution de l’ombre : d’abord en équilibre avec la lumière, elle devient plus envahissante, avant de prendre son envol, dans une forme abstraite, semblant finalement indépendante de l’objet. Les ombres ont leur vie propre …Est-ce annonciateur d’un retour à l’éclaircie? Ou au contraire le présage de temps sombres ? L’artiste ne donne pas de réponses, évoque Peter Pan… Dans la mythologie grecque, les croyances précolombiennes et les légendes chinoises, celui qui est privé de son ombre est souvent condamné à une mort prématurée…
Ces Cathedrals of Wind pourraient être paysages marins, en mouvement perpétuel.
Le désert comme un négatif de la mer. Autre espace-temps géologique qui fascine l’artiste, aussi féru de plongée sous-marine ; Il se souvient avoir trouvé, lors de ses voyages dans le Sahara, des fossiles de coquillages et des créatures marines. L’océan était là autrefois.
J’étais en train de dessiner pendant plusieurs heures, quand je me suis rendu compte que je me tenais dans des millions d’années d’érosion, de temps. C’était non seulement le plus grand paysage que j’ai jamais vu, mais aussi le plus grand paysage temporel.
Roda-Viva — Roue de vie
Dans la série Roda-Viva, l’artiste se concentre sur la grande force à l’œuvre dans l’univers, cette force de la Nature régissant les équilibres de vie et de mort, de mouvement et d’immobilité, d’ordre et de chaos. L’ordre naturel des choses.
Dans la période de pandémie, Rui Moreira fut, plus que jamais, réceptif à cette force arrachant des milliers de vies en une journée, en guérissant des milliers d’autres au même moment. Roue de vie, implacable et mouvante, face à laquelle il dit notre impuissance, cette Roue de Vie, Roda-Viva dont il empreinte le titre à une chanson brésilienne de 1968, par Chico Buarque :
(…) Il y a des jours où nous nous sentons
Comme qui est parti ou est mort
les gens se sont arrêtés d’un coup
Ou était le monde alors qui a grandi
(…) Nous cultivons depuis longtemps
Le plus beau rosier
Mais voici, la roue vivante arrive
Portez-y le rosier
Roue du monde, grande roue
bain à remous, rouet
Le temps a couru en un instant
(…) Aux détours de mon cœur
La samba, l’alto, le rosier
Un jour, le feu de joie a brûlé
Tout n’était qu’une illusion passagère
Que la première brise a pris (…)
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