Jean-Charles de Quillacq — Autofonction

Exposition

Techniques mixtes

Jean-Charles de Quillacq
Autofonction

Passé : 16 mai → 25 juillet 2020

Marcelle alix galerie exposition 1 paris 1 grid Interview Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic, galerie Marcelle Alix Au long d'un échange à distance, les fondatrices du lieu, Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic reviennent avec nous sur la genèse de leur galerie, ses évolutions et ses perspectives et s'ouvrent sur cette vie d'art en commun, en équipe, en duo mais surtout d'une voix commune.

Les mots de ce texte rédigé avant le confinement accompagnent chacun de nos gestes alors que nous manipulons et déplaçons dans nos espaces les œuvres de Jean-Charles de Quillacq. L’autofonction n’est plus seulement le système fermé que les sculptures privilégient et prennent en charge pour nous. Il est aujourd’hui système partagé, conscientisé collectivement depuis cinquante-cinq jours.

Autofonction déborde d’énergie. Ça s’active, ça travaille, ça se soulève, ça se rassemble, ça parade. C’est un peu cambré aussi, ça palpe l’air, ça attrape des choses qui restent des étrangères et ça veut les garder, les sentir remuer avec des bruits étouffés. Quand le sens danse, les objets aussi. Ils sont vivants et se frayent des chemins dans l’espace, vivent de sa lumière et de son obscurité. Ils luisent, se matifient et se couchent comme l’oxalis triangularis, ce faux trèfle pourpre dont les feuilles se replient sans jamais trouver témoin.

EV : Si tu devais te décrire, alors, tu commencerais par les pieds ?1

JCdQ : Disons que ça me permettrait d’éviter des parties plus franches du corps, comme par exemple le visage ou les parties génitales, qui bien sûr m’intéressent mais présentent plus de personnalité que je ne voudrais en supporter.1

CB : Tes dernières expositions mettent tout le corps à disposition. À chaque fois, les différentes sculptures que tu modèles et parfois même habilles répondent à ton propre corps, le multiplient. Tu produis des corps qui te mènent à d’autres corps, à la manière d’un engendrement perpétuel vécu explicitement et sans repos à travers Ma système reproductive.2 C’est aussi une dépense physique et sexuelle qui montre l’ouverture et la fermeture du corps à l’autre, aux autres. Je comprends : je me fais du bien sans l’autre. Je mets en scène ce que je vis ou vois comme excitant, satisfaisant et éclairant intérieurement. Mais aussi je le partage, car m’imaginer travailler sur des sculptures qui performent une exploration du corps à l’aide de la matière, c’est aller vers les autres, être excité·e par la multiplicité des points de vue, entre ceux qui m’appartiennent et ceux que je ne pourrais jamais adopter. C’est ainsi que je me figure les chemins que tu empruntes jusqu’à nous, jusqu’à ton « autofonction » ou « autoérotisation » ouvertement exposée.

JCdQ : Réaliser l’équivalence entre mon travail sculptural et mon corps avant même de penser à des corps multiples nécessite une forme d’honnêteté vis-à-vis de mon rapport à l’art, et peut-être de celui de nombreux·euses sculpteur·rice·s. Il y a un plaisir qu’on pourrait qualifier de masturbatoire dans ce que cela fait de mouler, de façonner des formes, de jouer avec des matières fluides. C’est un fantasme commun chez les artistes cette idée de ne faire qu’un·e avec son travail. J’ai ainsi remplacé une de mes sculptures pendant trois jours dans une exposition à Triangle à Marseille (« Vos désirs sont les nôtres », 2018). Il s’agissait d’explorer ce que cela voulait dire réellement que d’être disponible, comme une œuvre, aux regards voyeurs des spectateur·rice·s. À la Biennale de Rennes (2018), j’ai poussé la logique plus loin en proposant aux visiteur·euse·s de s’inscrire pour des rendez-vous au cours desquels je réalisais un moulage de leur nez. En contre-partie, ils et elles avaient six minutes pour faire ce qu’ils et elles voulaient avec moi, dans une pièce isolée. J’ajoutais ensuite les moulages de nez récoltés à l’installation mes béchamel (2018) présentée dans l’espace d’exposition. J’incorporais en quelque sorte l’altérité, représentée par ces bouts d’autres, dans ma sculpture. Il ne s’agit pas tant d’être excité·e par son propre corps / son propre travail que d’y faire pénétrer ces morceaux extérieurs qui nous rendent étranger·ère·s à nous-mêmes et encouragent finalement cet auto-érotisme. En ce sens, Crash !, le livre de J.G. Ballard (1973) et son adaptation par David Cronenberg (1996) ont exercé une influence majeure sur moi.

CB : Cette exposition exprime plus directement cet état de jeu perpétuel avec la matière dont certains aspects nous sont cachés. Ton travail revisite l’autoportrait et le rapport de l’artiste à son modèle. Il est certain que peu d’autoportraits dans l’histoire de l’art ont montré cette capacité à se reproduire pour et avec les autres. Non seulement tes sculptures s’autonomisent pour jouer entre elles, mais d’autres corps humains jouent les modèles, les partenaires de jeu et les complices avec toi. Tu vis la dépendance aux autres avec plaisir. Tu l’organises et la met en tension, cela se voit parfois, mais pas toujours. Le résultat peut contourner les aléas pour fabriquer une situation nouvelle et idéale. Pour moi, mes béchamel que tu évoques à travers les moulages de nez est l’image même du plaisir absolu : une ligne de nez réfugiés sous la couverture qui échangent chaleur, air et fluides. Si on soulève la couverture, est-ce qu’on aura accès à toutes les odeurs dont tu parles régulièrement ? Quel meilleur parfum que celui de l’atelier devenu chambre du désir partagé…

JCdQ : L’atelier est un lieu de concentration des désirs et des fantasmes, c’est pour cela que la pénétration d’un étranger ou d’une étrangère en son sein n’est jamais innocente. Il se rattache directement au titre de l’exposition, « Autofonction ». L’atelier est-il l’endroit où les artistes sont en fonction « auto », ce qui renvoie à une idée mécanique de la création, comme la fonction « autoreverse » de nos anciens magnétos ? Ou bien faut-il imaginer l’autofonction comme la description d’un art autonome de toute fonction extérieure ? Les sculptures sont en autofonction, des systèmes fermés qui contiennent pourtant de l’altérité, des bouts d’autres comme les nez, comme certains vêtements que j’inclus dans mes œuvres. L’autofonction c’est évidemment le corps de l’artiste au travail, à qui on demande d’être productif, même s’il reste empêtré dans ses propres contraintes, une « viande socialisée, objet conscience se contestant lui-même » comme l’écrit Michel Journiac (arTitude n°5, 1972)

1 *Extrait de Jean-Charles de Quillacq et Elsa Vettier, Saint-Pierre-des-corps, éditions Sombres Torrents, 2020

2 “Ma système reproductive” est un exposition personnelle de l’artiste qui s’est déroulée du 03.05.2019 au 13.07.2019 à Bétonsalon, Paris.

L’artiste réalisera la performance Présentation du travail de façon aléatoire aux horaires d’ouverture de la galerie pendant la durée de l’exposition

Jean-Charles de Quillacq est né en 1979.Il se partage entre Zurich, Suisse et Sussac, Limousin. Il est diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon et ancien résident de la Rijksakademie, Amsterdam. Il a participé à plusieurs expositions collectives, dont “Humainnonhumain”, à la Fondation d’entreprise Ricard (cur. Anne Bonnin, 2014), “L’Après-midi”, à la Villa Arson qui lui a consacré un court ouvrage monographique (Mes mains dans tes chaussures, 2015), “À Cris Ouverts”, biennale d’art contemporain de Rennes (cur. Etienne Bernard et Céline Kopp, 2018) et “Futur, ancien, fugitif” au Palais de Tokyo (cur. Franck Balland), Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc et Claire Moulène, 2019). Son travail a également fait l’objet d’expositions personnelles dont “Ma système reproductive” à Bétonsalon (cur. Mélanie Bouteloup et Lucas Morin, 2019), “La Langue de ma bouche”, avec Hedwig Houben, à La Galerie, Centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec (cur. Emilie Renard, 2018), “Getting a Younger Sister, Thinking To Myself” aux Swiss Art Awards, dont il est l’un des lauréats (Bâle, 2017), “Je t’embrasse tous”, galerie Marcelle Alix (Paris, 2016) et “Four Works In A Rectangle”, Rote Fabrik (Zürich, 2012).

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4, rue Jouye-Rouve

75020 Paris

T. 09 50 04 16 80 — F. 09 55 04 16 80

www.marcellealix.com

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Du mardi au samedi de 11h à 19h
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