Lucy + Jorge Orta — Interrelations
Exposition
Lucy + Jorge Orta
Interrelations
Passé : 10 octobre 2020 → 30 mai 2021
Lucy + Jorge Orta — Les Tanneries, Amilly Lucy et Jorge Orta déploient aux Tanneries d’Amilly une création polymorphe qui, en attendant son ouverture, joue en sourdine la partition d’un art ancré dans le partage et l’échange qui s’observe dès lors paradoxalement dans une stase révélatrice.Pour leur exposition aux Tanneries intitulée Lucy + Jorge Orta : Interrelations, les deux artistes prolongent à travers la présentation de gestes inédits des séries d’œuvres emblématiques de leurs pratiques et de leurs recherches communes développées depuis leur rencontre en 1991. Ils explorent et mettent ainsi en exergue les interrelations qui les innervent. En renouvelant les alphabets singuliers qui les sous-tendent — entre pratiques picturales et installations, réaménagements et combinaisons — l’exposition prend des allures de point d’étape — entre dimensions rétrospectives et prospectives, racines et ramifications –, toujours dans un souci de (re)signification d’un état du monde attentive aux problématiques sociales, économiques et écologiques comme aux urgences environnementales et humanitaires.
Transformant pour l’occasion l’espace de la Grande Halle en un immense décor aux allures de terrain vague ou de camp de fortune déserté au sein duquel le temps semble s’être arrêté, Lucy + Jorge Orta (Lucy, née en 1966 à Sutton Coldfield, Royaume-Uni et Jorge, né en 1953 à Rosario, Argentine, vivent et travaillent entre Londres, Paris et Les Moulins) y composent trois grands ensembles matriciels réalisés in situ où se rencontrent réalités et fictions, présences et absences, actions et contemplations. Constellation d’œuvres sculpturales, ce décor silencieux fait rimer esthétique et ingéniosité, ordre et désordre, en une beauté singulière et fragile qui rencontre — et rend compte de — l’effroi. À travers elle s’expriment à la fois sentiments d’urgence et espoirs, destructions et reconstructions, constats et réflexions, réalisme et optimisme.
Le premier ensemble, Fragments d’histoire ou Interrelations, s’organise autour d’un camion militaire Saviem et de sa remorque, deux nouvelles variations issues de la série des Mobile Intervention Unit Convoy. Autour d’elles gravitent une cinquantaine de tableaux dont les plus petits donnent l’impression d’être littéralement tombés du camion quand les plus grands se trouvent suspendus entre les piliers de béton. Bien que leurs formats présentent un caractère inédit au sein de la pratique artistique du duo, le médium en tant que tel s’inscrit dans une filiation plus lointaine qui remonte aux formes d’action-paintings — telles que « l’immersion » et « le _derrame_ » — réalisées par Jorge Orta en Argentine dans les années 1970, années dictatoriales au cours desquelles ses peintures se radicalisent de plus en plus afin d’exprimer les injustices croissantes de la société. Les scènes composées et représentées dans leur réalisme photographique constituent des fragments d’histoires universelles dont les artistes se font les témoins. On peut y apercevoir des files d’attente interminables, des femmes et des hommes emmitouflés, mais aussi des champs desséchés et poussiéreux, des vagues déferlantes, des vents tourbillonnants de l’Antarctique ou bien encore une hutte construite sur pilotis au beau milieu de l’océan, partageant sa fragilité avec celles des coraux et de bancs de poissons surexploités. Recouvrements (« immersions ») et coulures (« derrame ») viennent maculer en partie ces éléments figuratifs de leur essence abstraite et se font dès lors les métaphores sensibles et fragmentaires d’un monde vacillant — débordé et débordant, pris dans une fuite chaotique en avant. Ces amoncellements composés constituent autant de tentatives de nomenclature poétique du monde que d’outils de mesure personnels — entre figurations et abstractions — élaborés par les deux artistes afin de restituer une forme d’état(s) du monde et des enjeux auxquels ce dernier est confronté, depuis l’amenuisement des ressources jusqu’aux fragilisations croissantes des écosystèmes comme de la condition humaine.
Ligne de vie ou Camp de fortune, deuxième ensemble présenté ici, vient d’ailleurs réactiver et prolonger les réflexions développées par le duo d’artistes autour de la fragilité accrue des populations humaines en associant une ambulance militaire aux portes grandes ouvertes à un déploiement important de lits de camp revisités. Fusionnés avec des bivouacs en lin aux teintes monotones, ces nouveaux Life Guards sont pensés comme de véritables refuges individuels, faisant également écho aux Refuge Wears conçus par Lucy Orta dans les années 1990. La combinaison des éléments — entre récupérations et métamorphoses — se fait donc combinaison protectrice grâce à laquelle l’artiste expérimente des possibles : protéger, prêter assistance, etc. Tout en interrogeant la fragilité et la précarité du corps et de la nature humaine, Lucy Orta en souligne également la résilience et les élans de solidarité.
Constituant le lien à la fois naturel et symbolique entre l’homme et son environnement, les recherches sur l’eau — de sa collecte à sa distribution en passant par son traitement et son conditionnement — menées par Lucy + Jorge Orta au sein de la méta-série OrtaWaters sont ici représentées et poursuivies à travers la présentation d’un Drop Parachute et d’une embarcation insolite aux allures de micro-station d’épuration artisanale. Zille Purification Unit — construit à partir d’un zille réaménagé — est une « machine-architecture » fluviale installée au-dessus des cuves de trempage des peaux des tanneries d’origine, directement alimentées par la rivière. S’inscrivant avec subtilité dans l’histoire des lieux, l’œuvre rappelle l’aspect essentiel de l’eau dans les activités industrielles tout comme elle souligne son rôle majeur dans les processus de déplacements de populations — ces embarcations pouvant être vues comme les symboles-mêmes de l’exode. Usines portables et fonctionnelles de recyclage de l’eau, les sculptures Usine de purification d’eau créées par Lucy et Jorge Orta mettent par ailleurs en exergue les enjeux et défis majeurs liés à la raréfaction de l’eau potable tout en esquissant les prémisses potentielles d’une solution concrète dont les échelles de production s’alignent sur celle de leur atelier.
Avec Lucy + Jorge Orta : Interrelations, le duo d’artistes offre donc une véritable synthèse de ses recherches et expérimentations — passées et en cours — à travers laquelle les dynamiques collectives et collaboratives de leur travail sont mises en lumière, que ce soit du point de vue sociétal ou encore à l’échelle de la création en atelier. Tout se passe alors comme si la médiatisation d’enjeux globaux — qu’ils soient climatiques, migratoires ou géopolitiques — nécessitait, pour les deux artistes, l’élaboration et l’exploration d’un « art total », appliqué et contextuel, modulaire et opérationnel, sans cesse en mouvement et capable d’accompagner les évolutions de nos sociétés tout en questionnant le potentiel mais aussi les limites de leur ingéniosité et adaptabilité, entre solutions concrètes et utopies expérimentales.
AUTOUR DE L’EXPOSITION
>> samedi 29 mai, à partir de 15h15
Conversation publique avec Lucy + Jorge Orta dans le cadre du finissage de l’exposition Interrelations.
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Vernissage Samedi 10 octobre 2020 15:30 → 18:40
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Rencontre Samedi 20 février 2021 15:30 → 17:30
Conversation publique avec Lucy et Jorge Orta dans le cadre du finissage de l’exposition et de la restitution du projet d’action éducative L’École ORTA.