Lucy + Jorge Orta — Les Tanneries, Amilly
Lucy et Jorge Orta déploient aux Tanneries d’Amilly une création polymorphe qui, en attendant son ouverture, joue en sourdine la partition d’un art ancré dans le partage et l’échange qui s’observe dès lors paradoxalement dans une stase révélatrice.
Leur rencontre au début des années 1990 amorce une collaboration intime qui les voit poursuivre leurs recherches en développant un vocabulaire plastique qui s’enrichit de leurs échanges. De la même manière qu’ils explorent et mettent en lumière les relations qui sous-tendent la fragilité de l’homme dans la société. Ainsi, leur travail s’attache à construire des projets utopiques (les Utopies Fondatrices) qui sont autant de voies alternatives dont l’activation a pour ambition de modifier directement le réel.
Une ambition aussi démesurée qu’à la mesure de l’humilité d’un tandem ancré dans une pratique directe qui ne cesse de chercher et d’encourager ceux qu’elle rencontre à s’emparer de ces outils pour se mettre en recherche à son tour. Cette voie bicéphale se ressent ainsi pleinement dans le projet déployé aux Tanneries d’Amilly qui s’inscrit véritablement dans une dynamique plus que dans une accumulation à visée de constitution d’un corpus. Une manière de rendre plus libre leur démarche et d’insister, dans la forme même de leur création, sur l’impossibilité pour une pensée de l’émancipation de se voir fixée par des dogmes.
Presque à la manière d’un manuel en constante mise à jour donc, la création de ce duo se traduit ainsi par la mise en œuvres de dispositifs plastiques qui sont autant de moments d’action dont la trace est inséparable du souffle qui les porte. L’ambition de proposer une exposition rétrospective, qui plus est frappée par la suspension de ses visites dans le cadre de la situation sanitaire liée au Covid ouvre ainsi une fenêtre plus singulière encore sur ce travail dont la présence, cachée aux yeux de tous et survivant dans un espace désert, donne une nouvelle dimension à leurs questionnements.
Derrière l’apparent paradoxe d’une vie intensifiée par l’absence de celles qu’elle est censée rencontrer, l’exploration de l’exposition à distance, dans le silence de sa respiration touche plus profondément encore la dynamique suspendue de ses pièces qui appellent au sens, appellent à l’action et à la participation dans l’immobilité de leur posture.
Déposées et comme abandonnées, les œuvres attendent autant qu’elles occupent le territoire avec une présence forte, oscillant entre leur fonction narrative et leur nature utilisable, appropriable comme contenue en puissance dans chaque coin de l’exposition. Le tour de force est de continuer, dans la solitude d’un espace clos, de constituer, à distance et en sourdine, une expérience de la création virtuellement effective.
De la sorte, les interrelations mises en lumière à travers cette grande exposition qui se présente comme rétrospective prospective apparaissent ainsi comme un miroir tendu aux enjeux de nos sociétés, renversant les lignes d’horizon et plaçant le visiteur non seulement face à sa possibilité d’agir mais également face à sa responsabilité.