Odonchimeg Davaadorj — Galerie Backslash
Les dessins, peintures et installations de la jeune artiste présentées à la galerie Backslash à l’occasion de l’exposition Phusis forment un langage nouveau qui nous invite à laisser de côté notre anthropocentrisme.
« Odonchimeg Davaadorj — Phusis », Galerie Backslash du 13 mars au 17 avril 2021. En savoir plus Odonchimeg Davaadorj ouvre au public les portes d’un espace autre, qui témoigne d’un inconscient fertile organisé en ramifications et en évolution constante. Peints sur une toile, dessinés sur du papier blanc ou brodés sur du tissu, des visages émanent d’un volcan, un arbre ancre ses racines dans un crâne, une foule d’êtres minuscules arpente un oiseau, des tiges naissent des yeux, des pubis ou des mains s’enflamment… Cet ensemble de signes aux couleurs organiques n’est pas l’illustration d’une pensée mais un véritable langage. Si ce vocabulaire est propre à l’artiste et nous paraîtra étranger au premier abord, il retient pourtant le regard et se révèle, sous l’effet d’une mystérieuse magie, accessible et compréhensible. Odonchimeg Davaadorj, en remettant l’humain à sa place — non pas face à la nature, ou contre elle, mais avec elle –, rappelle que nous faisons partie d’un tout, composé d’animaux, de végétaux et d’astres. Si le spectateur se cherche dans ces images, il se reconnaîtra dans les multiples visages et constatera assurément qu’il n’est jamais seul. Comme une passeuse entre visible et invisible, l’artiste ravive la fragilité de notre présence sur Terre puisqu’il suffit qu’un de ces éléments disparaisse pour que le système entier tangue et s’effondre.Odonchimeg Davaadorj s’ancre ainsi dans cette nouvelle génération d’artistes qui ont fait de cet écart creusé entre l’individu et la planète une problématique cruciale de leurs recherches et qui tentent de renouveler le regard porté sur notre environnement. C’est par une image précise que l’artiste parvient ici à piquer en douceur les visiteurs dans leur approche de la situation écologique actuelle : celui du réseau. La logique d’un ensemble d’éléments liés en divers points semble omniprésente, en témoignent les motifs qui jalonnent l’exposition : toile d’araignée, branches d’arbre, constellation stellaire, racines, cheveux, veines, fumée… Les formes se propagent, tombent, remontent, jaillissent dans une perpétuelle mutation chez Odonchimeg Davaadorj. Tout est intriqué, à l’image du fin fil rouge qui passe de dessin en dessin, autant métaphore du temps et de l’héritage que de la communauté et du partage. L’artiste se nourrit de la force du réseau : parce qu’il n’a pas de haut ni de bas, il n’a que faire de la hiérarchie et exclut le rapport dominant et dominé qui façonne nos sociétés.
Nous ne trouvons pas en effet de fin ou de début dans les œuvres exposées, à croire que la vie est un cycle pour Odonchimeg Davaadorj. À l’aube du printemps 2021, au cœur d’un pays fragilisé par la pandémie, le spectateur ne pourra que trouver dans son travail, sinon un réconfort, au moins une vision lucide. Loin de construire une représentation du monde naïve et enchantée, l’artiste saisit habilement la complexité universelle de notre existence à l’endroit de l’entre-deux qui sépare la vie et la mort, là où le soleil côtoie la nuit. De subtiles contradictions sont enfouies dans son travail comme des indices : ce discret visage humain sur le ventre bleu d’un oiseau mort, ces têtes jaunes et vertes sur fond noir aspirées par le crépuscule, ces pieds sculptés recouverts de terre multicolore, ces baisers amoureux prenant forme dans les pétales de plantes toxiques, ou encore cette installation qui suit l’escalier de la galerie — une première pour l’artiste habituée aux petits formats — dépliant une série de grands visages de papier découpés, fantômes flottants ou portraits funéraires. Nous voilà happés par ce sentiment que tout ce qui naît meurt et tout ce qui meurt renaît.
Sûrement Odonchimeg Davaadorj puise-t-elle ce rapport à la vie divergeant de la philosophie occidentale dans les traditions chamaniques de sa Mongolie natale où elle a vécu, enfant, au cœur de la nature, mais aussi peut-être dans son identité de genre, elle qui se définit comme écoféministe. L’exposition offre une résonnance passionnante vis-à-vis de l’écoféminisme, mouvement né dans les années 1970 qui révèle le lien entre les violences subies par les femmes et la domination exercée sur la nature, ayant toutes deux pour origine le système capitaliste et patriarcal. Le dessin d’une femme-chauve-souris, animal totem de l’artiste, nous accueille autant qu’il nous quitte, du fait de sa localisation à l’entrée de la galerie. Cette créature hybride, abritant sous ses ailes des visages de femmes, vient suggérer qu’une alternative à notre modèle de société binaire à bout de souffle est possible, à condition que nos retrouvailles solidaires avec le vivant s’accompagnent de retrouvailles simultanées avec nos concitoyennes et concitoyens.
L’exposition Phusis d’Odonchimeg Davaadorj apparaît telle une étape au cours du processus créatif bouillonnant, prêt à déverser son magma à la croisée de l’intime et du politique, de cette artiste alors à suivre de près.