Fischli & Weiss — Der Laufe der Dinge
Décédé le 27 février, David Weiss laisse orphelin le duo Fischli & Weiss qui a joué, depuis les années 1980, un rôle majeur sur la scène artistique internationale. Lauréate de nombreux prix internationaux, leur vidéo Der Laufe der Dinge est certainement la plus emblématique de leur carrière.
En 1987, après près d’une dizaine d’années de collaboration, Fischli & Weiss projettent pour la première fois Der Laufe der Dinge (Le cours des choses), qui met en scène une réaction en chaîne de 30 minutes où chaque élément, une fois déclenché, vient activer un dispositif à sa suite. Si le titre de cette vidéo a pu leur paraître, par la suite, quelque peu ronflant, c’est bien parce que Fischli & Weiss ont toujours su donner une leçon de vie avec un détachement subtil, un engagement discret qui fait de chacune de leur pièce un monument d’inventivité, de drôlerie et d’intelligence.
Der Laufe der Dinge prolonge la série de photographies Equilibrium (également appelée Stiller Nachmittag). Peu après leurs premières œuvres en duo, Fischli & Weiss s’attèlent, au début des années 80, à la réalisation de compositions aux allures de nature morte d’un nouveau genre. En empilant des objets ordinaires et en réinventant leur équilibre Fischli & Weiss imposent une esthétique sobre qui, sans verser dans les sirènes du Pop Art, accentue le décalage de leur posture, délestant l’image de toute raison pour s’en tenir à la simple confrontation des objets. Ce sont toutes ces constructions précaires qui aboutiront, en 1987 au projet Der Laufe der Dinge .
Comme ils le racontent, tout est parti de discussions au bistrot durant lesquelles les deux artistes empilaient machinalement des objets sur la table et restèrent fascinés par cette énergie qui ne cessait jamais de les faire s’écrouler (« the energy of never-ending collapse »1). Partant, ils s’investirent à diriger cette “malédiction de la gravité” vers un point précis, l’activation d’une seconde destruction, puis d’une autre et ainsi de suite. Une mise en scène du très célèbre « effet domino » popularisé au début du XXe siècle par le dessinateur Rube Goldberg et ses machines fantaisistes dont la complexité mécanique n’avait d’égale que la simplicité de la tâche à accomplir. Si le résultat offre ainsi une véritable performance (bien que l’on puisse aisément dénombrer quelques coupes dans le montage final) où le spectateur assiste au déroulé d’une réaction en chaîne autonome où les objets semblent presque possédés, le sérieux et l’implication des deux artistes déroute.
Ouverte à l’interprétation, cette œuvre n’en finit pas de jouer sur les sens. Avec leur mécanique bringuebalante et inventive, Fischli & Weiss ont conçu une machinerie folle qui s’attaque au concept même de causalité. Action, réaction ; le geste initial est médiatisé par une foule d’objets délirants, de constructions absurdes qui prolongent à l’envi le rapport de forces et, se servant de principes physiques, orchestrant des réactions chimiques, élèvent le mécanique au rang de dramaturgie. Il faut voir les soupirs de soulagement, les rires du public qui accompagnent chacune de ses projections, où la simple effectivité devient une source de joie.
Alors, de la simple réaction, l’événement devient un îlot de vie artificielle doué de sa propre raison ; poursuivre le mouvement. En cela Fischli & Weiss ne découvrent pas la magie du quotidien mais agissent, en magiciens, sur les objets du monde en leur donnant vie.
À noter : la version présentée ici de Der Laufe der Dinge est accompagnée d’une bande-son montée à partir des travaux du groupe Aphex Twin, la version originale n’était accompagnée que des sons émis par les objets.