Gaëlle Choisne — Galerie Air de Paris, Romainville
Voguant dans une ambiguïté féconde entre charme de la chair évoqué en filigrane dans une multitude d’éléments qui l’habitent et brutale connexion avec les tensions d’une société urbaine génératrice de déchets, d’interdits et de zones de résistances muées en camps de survie, Les mondes subtils de Gaëlle Choisne dessinent en effet une variation moins crue qu’il n’y paraît autour du plaisir qui passe par les détours de symboles et les métaphores inattendues pour penser de nouvelles relations au corps.
Par son absence d’abord, par la transparence ensuite dans des pièces peintes ou gravées qui ne se lisent qu’à la faveur d’un rapprochement presque intime, bercé par la scansion d’un discours affirmant l’amour et le respect porté à soi, l’indépendance d’un désir s’épanouissant dans les limites de sa propre expression, avec ou sans l’autre.
Par la négative enfin, où les formules “I love you”, “My body” ou “Waiting” sont arrachées à la chair de fruits dont la maturation ne cesse chaque jour d’aller croissante, quand les couvertures, les structures mobilières et les recoins semblent dépouiller eux-mêmes de leur matière. L’affirmation, dans sa radicalité creuse une place à l’autre qui n’a rien d’une dépendance mais, au contraire, d’un appel au frottement d’indépendances singulières.
Incapables alors de cacher le secret de rencontres clandestines, les échanges se font en plein jour, laissant derrière eux les traces assumées de leur passage. Les coulures, souillures et autres marques vivaces de la présence humaine se débattent avec les sachets de préservatifs, accrochés à leur tour aux restes de fantasmes d’une société de consommation qui mêle ses icônes à notre intimité.
Si des mondes subtils subsistent dans cet univers désolé, ce sont alors bien les nôtres, reprenant cette ambiguïté initiale d’un adjectif qui en fait des forces capables de se démarquer, une subtilité qui s’extirpe de toute réduction grossière en même temps que renvoyant à la matière subtile de l’histoire de la pensée qui les pousse à se confondre avec ce qui les entoure.
L’exposition laisse ainsi à sa suite les traces ambigües d’une sensualité en fuite. Entre l’espoir, la fleur du bitume et la bétonisation du désir, Gaëlle Choisne explore avec le délice du défi notre aptitude à cerner la beauté sans fantasmer ses graines, à appréhender le sublime pour ce qu’il peut être, un territoire en construction dont n’émergeront que des formes mutantes qu’il nous appartient d’aimer.
Gaëlle Choisne, Les mondes subtils, galerie Air de Paris, Romainville, jusqu’au 12 septembre 2021.