Outsider Art fair 2015
Au cœur d’un hôtel particulier de toute beauté, l’Outsider Art Fair se propose, cette année encore, de donner à découvrir un art libre, affranchi des codes de l’histoire.
Une découverte d’autant mieux orchestrée qu’elle fait jouer à plein le contraste entre l’intimité et l’élégance policée d’un hôtel particulier avec les imaginaires explosifs de créateurs venus de tous horizons, animés de pulsions artistiques viscérales qui transparaissent dans chacun des tableaux présentés par les trente-huit galeries participantes.
L’occasion ainsi de retrouver la figure majeure du peintre Henry Darger, récemment exposé au musée d’Art moderne de la ville de Paris, avec les superbes fresques disponibles à la galerie Carl Hammer et des tableaux également présents chez Andrew Edlin, le très dynamique président de la foire. L’occasion de retrouver ses fameuses fresques peuplées de fillettes, mais aussi une œuvre issue d’un bestiaire mettant en scène l’aigle doré censé protéger, dans la mythologie de l’artiste, ses héroïnes des dangers qui la menacent. Autre grande figure de l’art brut, James Edward Deeds, dont les 143 dessins qui constituent le livre découvert il y a quelques années sont d’une force inouïe (lire à ce sujet notre critique de sa dernière exposition parisienne), est présenté ici par la galerie Hirschl & Adler.
De son côté, la galerie Les Arts Buissonniers présente quelques photographies de Miroslav Tichý, dont les figures féminines, dans leur simplicité quotidienne transfigurée par l’œil avide de l’artiste n’ont pas fini d’envoûter les amateurs d’art du monde entier. Enfin, parmi les grands noms du marché, on retrouvera à la galerie Andrew Edlin trois dessins du Français Marcel Storr d’une complexité et d’une expressivité rares, détournant les monuments qu’il dessine en leur insufflant une distorsion qui traduit un vertige, ainsi qu’un mur consacré aux photos d’ Eugene Von Bruenchenhein.
Ce dernier n’a cessé de mettre en scène et photographier sa femme, fabriquant au fil des ans un carrousel de portraits, attitudes et autres poses avec pour repère un visage ravi de se prendre au jeu et semblant partager avec une complicité assidue cette obsession qui débouchera sur une série d’images passionnantes.
Outsider Art Fair est également l’occasion d’un voyage à travers le monde avec la présence de galeries spécialisées certaines zones géographiques, à l’image tout d’abord de la galerie Hervé Perdriolle, qui présente une sélection solide d’art contemporain indien, parmi lesquelles on s’arrêtera sur une toile d’une sobriété et d’une élégance qui captivent le regard, celle de Vijay Mashe, qui côtoie des œuvres d’une artiste disparue en 2010, Chano Devi.
Du côté européen, nul doute que les œuvres de Paul Amar, qui font sensation en ce moment même à la foire Officielle aux Docks — Cité de la mode et du design, réjouiront les amateurs. Son autel psychédélique et coloré trouve dans cet hôtel particulier un écrin à sa mesure qui souligne toute la précision et l’attachement de cet autodidacte qui a su mêler, au sein de constructions minutieuses, des influences du monde entier. Un hommage largement mérité que lui rend la galerie Les Arts buissonniers.
La galerie Polysemie met, elle, en avant, un ensemble très convaincant d’œuvres d’ Evelyne Postic, qui forment sur la paroi un ensemble de figures énigmatiques qui révèlent un univers singulier et inquiétant où la précision et la méticulosité du trait créent des formes hybrides, des chimères architecturées. Véritable plongée dans son univers, cette présentation a le mérite d’insister sur les dernières œuvres de l’artiste, qui use désormais de couleurs singulières pour imaginer ses compositions.
Enfin, l’œuvre de Marcos Bontempo présente un univers moins sombre mais tout aussi trouble et profond. Avec une simplicité et une efficacité déconcertantes, les compositions de cet artiste vivant en Espagne dévoilent un paradoxe profond ; des paysages immobiles chargés de couleurs vives s’opposent à un bestiaire inquiétant dont les membres, pliés en tout sens, semblent s’adonner à des danses macabres aussi angoissantes que festives. Dans son livre peint, ses compositions pleines marquent par leur redoutable efficacité et, page après page se dévoile une histoire possible.
On l’aura compris, cette troisième édition parisienne d’Outsider Art Fair réussit le pari de donner une visibilité de haute tenue à un « continent » de l’art moderne et contemporain qui, s’il s’en veut isolé, ne manque ni de s’en inspirer, ni de l’influencer. Dans l’intimité feutrée des salons de cet hôtel particulier c’est donc à un réjouissant bouillonnement qu’on assiste et, face à un ensemble de propositions très hétéroclites, le visiteur comprend bien vite que chaque proposition, chaque œuvre présentée ici est une rencontre, un univers bien souvent étrangement aussi ouvert qu’il a pu naître de l’enfermement, réel ou imaginaire. Un événement que l’on espère voir se développer encore tant il offre un contrepoint utile et salutaire à la multiplication de foires parisiennes qui peinent à trouver un thème fédérateur et cohérent.