Rirkrit Tiravanija — Galerie Chantal Crousel, Paris
Questionnant sans cesse la participation collective, la lutte en commun, Rirkrit Tiravanija traduit depuis une vingtaine d’années des pratiques politiques et stratégies de résistance populaire dans des installations et projets plastiques qui impliquent le visiteur. La galerie Chantal Crousel présente l’exposition demonstration drawings jusqu’au 09 avril.
Entre cris de révolte, sérialisme conceptuel et objets pop, les t-shirt demonstration drawings de Rirkrit Tiravanija agitent méticuleusement les cimaises de la galerie Chantal Crousel. Exposées sous un verre orange qui leur confère cette identité immédiate, elles renvoient, dans la tradition thaïlandaise, au symbole de l’expérience, de la sagesse et de la paix à travers la déité Brihaspati, prêtre des dieux.
Témoignages autant qu’appropriations, ces reproductions fidèles et techniquement précieuses accumulent et insèrent dans un procédé de répétition des images qu’elle rendent intiment liées, portées par une familiarité confondante qui unit les luttes du monde entier. Tous ces yeux semblent habités d’une préoccupation ardente, mus par la réflexion tournée vers une force externe, vers une altération d’un cours des choses considéré comme injuste dont la révolte, la manifestation pare le futur d’un basculement radical possible.
Commande adressée précisément à des étudiants, cette série de dessins reproduisant des photographies de manifestation autour du monde s’attache à mettre en valeur les codes, messages et symboles que les corps portent sur eux. Comme en écho à cette essence collective, l’artiste noie dans le processus d’une exécution groupée la prééminence d’un auteur pour faire de cette série une somme d’échos anonymes, issues de photographies qui le sont tout autant, d’un cri de guerre contre l’injustice et l’individualisme.
Jouant avec la représentation médiatique des luttes, la série déplie tout au long du parcours une litanie de visages, de personnes et de sujets qui, pour les besoins de l’exercice, sont autant d’êtres qui nous font face, font front à un adversaire que l’on devine dans notre dos. La lutte, parée de ces symboles, semble pourtant tout aussi bien tournée vers une résolution pacifique des conflits entre les hommes de par sa symbolique que par sa nature polymorphe. Un paradoxe de plus pour cet enjeu d’une libération individuelle dans la lutte collective qui souligne encore plus le propos de l’artiste.
Par leur contraste fort, noir et orange impriment une radicalité visuelle qui porte en elle-même les germes de la production de proximité, de la simplicité du geste comme soulignant la possibilité, à l’échelle individuelle, de participer à la communication de luttes pour des idéaux menées depuis différents points du globe. Cette transmission, cette attention au sort de toutes les luttes sociales, c’est aussi la marque de Rirkrit Tiravanija qui tisse, au sein de la galerie, un réseau de causes et conséquences nous liant définitivement aux enjeux d’une mondialisation ici précisément au service de sa mise en question.
Une subtilité supplémentaire qui répond à la question de l’implication de l’artiste, refusant de se limiter à une dénonciation pour bien plutôt fabriquer à son échelle les conditions d’une mise en perspective d’enjeux dont chacun peut alors s’approprier la responsabilité.