Les frontières sont des animaux nocturnes — Kadist, Palais de Tokyo
Articulant la porosité des frontières jusque dans sa construction même, cette double présentation offre une vision éclatée mais pas moins cohérente des préoccupations d’artistes dont la vie et la création se mêlent à l’histoire en cours. Car loin de se réduire à un « épisode », la lutte armée, la mort et la peur hantent les univers mentaux de ces artistes qui font œuvre de ce fonds constant.
Les voix se doublent et se dédoublent pour évoquer les maux et les espoirs d’une succession de générations aux frontières constamment menacées dont les voies de traverse servent d’engrais fertiles à l’invention de nouveaux langages et à l’entretien de mémoires à protéger. La guerre, entre absence et présence, irrigue les esprits et les représentations qui tentent, chacune à leur manière, d’en conjurer la tragédie sans perdre de vue les raisons qui en ont fait une voisine permanente.
« Les frontières sont des animaux nocturnes — Sienos yra naktiniai gyvunai », Palais de Tokyo du 17 octobre 2024 au 5 janvier 2025. En savoir plus Fortes et inventives, les œuvres présentées naviguent entre les médiums pour offrir un panorama de formes d’une belle richesse qui conjugue fragilité et frontalité comme reflet polyphonique d’une création en acte. Le sol se dérobe sous les pieds quand les lambeaux de mémoire s’élèvent sur les cimaises, la réflexion profonde du parcours de Kadist et l’invention formelle au Palais de Tokyo jouent de l’écho entre parole et mémoire qui préside à cette mise en lumière du paradoxe tragique de cette histoire. Quand effacer les frontières devrait être l’horizon radieux d’une humanité ouverte à la rencontre et à la liberté de chacun, les mouvements belliqueux des dernières années raniment une flamme qui terrorise les corps et affadit les esprits, régénérant la frontière comme un mur invisible nourrissant les postures nationalistes.À travers cette sélection d’œuvres subtile qui se retient de tout symbolisme évident et marque par cette tension d’une normalité à l’œuvre en temps de guerre, l’exposition Les frontières sont des animaux nocturnes parvient à offrir des sutures poétiques aux cicatrices ouvertes et aux blessures à venir.
Un parcours dont l’optimisme, par touches impressionnistes, maintient par la preuve même de son existence, une dose d’espoir. Même infime, sa manifestation plastique, ici, devient essentielle face à la menace assourdissante du doute, ce brouillard continu qui n’aura besoin que d’un jour pour matérialiser ce qu’il forme toutes les nuits.