
Symbiosium 2 — Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
À la suite de l’exposition Symbiosium 1 Cosmologies spéculatives, qui eut lieu à la Fondation Fiminco, à Romainville en 2023, centrée sur les relations symbiotiques et de croissance, ce second volet au Centre Wallonie Bruxelles tisse des liens entre l’océan et le cosmos. Si dans la première, les interactions entre les œuvres s’opéraient dans une horizontalité, celles-ci se répondent ici dans une verticalité.
L’exposition dont il est ici question est ainsi le fruit d’un travail curatorial qui lui-même s’est orchestré à l’image de relations symbiotiques : « Au moment de l’accompagnement des artistes, la cohabitation s’est faite de manière organique durant le montage de trois semaines » ajoute la directrice du centre d’art. « Plusieurs œuvres célèbrent l’éphémère et interrogent le principe de conservation » précise-t-elle également. L’exposition, quelque peu plongée dans l’obscurité, se vit comme un moment où nous pourrions observer des transformations, où chaque œuvre propose une expérience et tend à nous laisser porter vers l’inconnu. « Il s’agit de proposer aux visiteurs de pénétrer dans un tableau où aiguiser son attention pour déceler des énigmes » ajoute-t-elle. D’étranges mondes, des abysses au cosmos, s’enchevêtrent et nous incitent à défier nos certitudes, à prendre conscience des transformations permanentes, des flux qui animent les êtres vivantes humains, non-humains.
Dès l’entrée, l’intervention architecturale de Yoel Pytowski modifie le seuil d’entrée en un espace en transition, entre démolition, fouille archéologique et construction. Tel un passage, cette installation in situ nous met en condition pour découvrir des milieux étranges, suscitant notre curiosité. L’espace d’exposition est plongé dans une atmosphère presque obscure où les jeux de lumière imposent de trouver nos propres repères. Certaines œuvres nécessitent une attention particulière notamment aux moindres vibrations. La plaque de métal de Nova Materia se « vitalise », des vibrations qui nous attirent de loin. How to make an ocean de Kasia Molga, collecte de larmes, devenues des écosystèmes autonomes capables d’alimenter les organismes marins, touche particulièrement. Cette installation, présentée au mur, nécessite de s’approcher pour prendre conscience du potentiel de vie au cœur des larmes humaines. À proximité, l’œuvre d’Hermine Bourdin invite également au rapprochement pour découvrir des petites statuettes préhistoriques recomposées. Cheminant dans l’espace, il s’agit de faire confiance à ses intuitions, aux petites pointes de lumière qui attirent et le cabinet de curiosités Artefacts de Julien Maire s’offre au regard.
Certaines œuvres se rapprochent également d’expériences d’écoute, afin de côtoyer d’autres vivants et d’entrer en connexion avec des univers lointains. Les pièces sonores d’Antoine Bertin proposent de s’octroyer un moment pour entendre l’enregistrement d’un cœur de poisson. Au mur, tel un talisman, Electric Prayer de Sabine Mirlesse est composé à partir d’un morceau de fulgurite porté par un bronze sinueux reflétant la lumière, telle une forme qui poursuivrait la trajectoire de l’éclair. Plus loin, les installations de Damien Fragnon ont été pensées en interaction avec le vivant non-humain, animal ou plante. En effet, les artistes de cette exposition mènent des expériences laissant agir les rencontres. La nouvelle œuvre de Paul Duncombe, produite pour l’occasion, s’apparente à une expérimentation : des spécimens de mollusques sont soumis à différentes sources radioactives et nous pouvons nous interroger sur les réactions produites… De nombreuses spéculations peuvent émaner de cette installation protocolaire. Celle de Charlotte Charbonnel, composée de gallium, tel un paysage de mer lunaire, est en constant mouvement ; ses états resteront ancrés dans la mémoire des visiteurs. Fossile du futur de Laure Winants interagit avec l’atmosphère, la température et la lumière du lieu d’exposition. En prenant le temps d’observer ces œuvres vivantes, nous pouvons nous questionner sur notre attitude en tant que visiteur, spectateur… pour laisser agir notre imagination et notre besoin actuel de comprendre le monde en transformation.
« Les différents espaces du Centre Wallonie-Bruxelles ont été pensés pour être mouillables, prêts à accueillir des œuvres qui laisseront une trace et à être repensés selon les projets. » explique Stéphanie Pécourt. Nous accédons à la suite de l’exposition à travers une structure architecturale qui résulte d’un projet performatif de Florian Pugnaire. En y pénétrant, nous pouvons nous interroger sur la force qui a modifié la paroi. « À chaque exposition, il m’importe de considérer l’ontologie des gestes et des œuvres. Celles-ci constitueront le souvenir de celles qui ont été » précise la directrice de ce lieu pluridisciplinaire.
Dans le second espace, dédié aux projets vidéo et à la performance, l’exposition prend un caractère futuriste. Les œuvres abordent l’hybridation, le transhumanisme, le synthétisme. Une certaine inquiétante étrangeté émane de celles-ci. La vidéo de Frederik de Wilde intitulée Goldilocks Bouquet Imaging Alien Flora montre une flore extraterrestre, un récit fictif dont les images aux couleurs et aux formes organiques jouent à la fois sur la science-fiction et le plausible. Les polarités entre naturel et artificiel semblent se confondre tandis que l’hybridation et l’augmentation des corps suscitent des questionnements quant au futur de notre société en proie à la technique.
Tout comme pour Symbiosium 1, cette exposition donnera lieu à un catalogue, dans lequel les œuvres mutantes, leurs états et les moments furtifs seront accompagnés de textes critiques. Ainsi, tel un espace hors du temps, où les abysses et le cosmos s’enchevêtrent, cette Île anarkhè se vit comme une expérience dont il restera à la fois des traces tangibles et photographiques. Cette exposition stimule la curiosité, l’écoute et l’accueil de l’imprévisible. Les nombreux entrelacements entre les œuvres engendrent de multiples questionnements sur les habitats, les liens entre les vivants et le devenir de l’humanité.