Ante Timmermans — Les Tanneries, Amilly
Le centre d’art contemporain Les Tanneries, sous le commissariat d’Eric Degoutte, directeur du lieu, et Philippe Van Cauteren, directeur artistique du S.M.A.K de Gand, présente l’exposition « Rien de nier de rien » de l’artiste contemporain belge. Dans ce lieu spacieux et historique, inauguré en 2016, un ensemble d’œuvres produites entre 2013 et aujourd’hui ont été réunies, immergeant le spectateur parmi les pièces détachées d’une grande machine en (dé)construction.
« Ante Timmermans — Rien de nier de rien », Les Tanneries — Amilly du 27 avril au 1 septembre 2019. En savoir plus On entre dans l’exposition comme on entre dans un atelier d’artiste, que l’on aurait rangé et agencé pour accueillir un visiteur occasionnel. Les cloisons mobiles de la Galerie haute ont été rassemblées en un bloc par Ante Timmermans. L’espace est vidé de toutes frontières, de toutes contraintes. Désormais libéré d’un parcours prédéfini à suivre, le spectateur peut errer sans finalité précise, parmi les œuvres en grands formats. Des toiles sont adossées au mur, proches les unes des autres, telle une frise. D’autres encore, monumentales, rejoignent le plafond. Les dessins sont tantôt accrochés au mur, en ligne ou en rectangle ordonnés, tantôt au sol sur des plaques roulantes, ou se mêlent aux installations. L’espace de l’exposition porte en lui la présence de l’artiste, la trace de son passage, ses déplacements, son geste mais aussi ses hésitations, réflexions et questions — à l’image de son espace mental. La question de l’organisation, de l’agencement et de l’assemblage saute aux yeux. Comme dans un laboratoire de travail, formes, motifs, lettres, mots, langages et volumes dialoguent par un jeu de répétitions et d’associations, allant jusqu’à former un véritable système.Mais le système est poreux et fébrile. Il laisse entrer les interférences, les incohérences, tiraillé entre ordre et désordre, sens et non-sens, construction et déconstruction. Rien ne commence, rien ne s’achève. Tout tourne, tout s’arrête, tout marche. Aucun sens n’est affirmé à condition d’être mis à mal aussitôt. C’est dans ce jeu de contraires qu’Ante Timmermans explore son intérêt pour l’absurde dont il est un lecteur aguerri. Sur de grandes feuilles de papier sont retranscrites les didascalies du dialogue entre Vladimir et Estragon dans la pièce de Samuel Beckett, En attendant Godot. Plus loin, une série de dessins répète le motif du cercle, omniprésent, auquel se superposent des mots qui semblent lutter entre eux et contre eux-mêmes. On y lit par exemple « la marche de l’arrêt ». À côté, un petit bureau en métal est gravé de croix et de cercles dans une grille, signant le passage d’un joueur de morpion.
Dans les deux grandes installations faites d’échafaudages en métal et en bois sont accrochés des objets hasardeux (sacs en plastique, boîtes en carton, télévision, fils électriques, haut-parleurs, masques…). À cette mystérieuse symphonie dissonante s’invite aussi la figure mythique et le nom de Sisyphe, éternel travailleur piégé dans l’inutilité de sa tâche repris par Albert Camus, côtoyant celle de l’âne, symbole de labeur et d’obstination.
L’exposition donne à voir ce qu’elle est toujours : une mise en scène. Elle se trahit, se met à nu. Le visiteur entre dans les coulisses d’un théâtre, au milieu d’un décor entreposé ici, entre deux représentations, dans l’attente. C’est le moment où les masques se reposent, les significations se bousculent, les tensions se suspendent, les lignes se réinventent. C’est l’espace-temps de la didascalie, silencieuse et pourtant essentielle. Quelque chose est joué mais caché, le faire prend le pas sur le dire. C’est d’ailleurs ainsi qu’Ante Timmermans dit percevoir l’exposition : comme une pause dans le travail. La pause, en s’ouvrant à l’ennui et au vide, ose défier le rien.
Ante Timmermans, né en 1976, avant de s’être orienté vers l’installation et la performance, est d’abord un dessinateur. Peut-être faut-il appréhender cette exposition, à l’image du parcours de l’artiste, comme un vaste dessin qui aurait arpenté d’autres terrains. Le propre du dessin est bien de pouvoir s’autoriser, à l’infini, des retours en arrière, des repentirs, de recommencer sans cesse, ne jamais s’arrêter.