Capucine Vever — Galerie Eric Mouchet
Capucine Vever propose à la galerie Eric Mouchet une exposition personnelle d’une belle cohérence qui offre une variation sur l’espace et le temps subtile et intrigante.
« Capucine Vever — Mirages linéaires », Galerie Eric Mouchet du 27 avril au 13 juillet 2019. En savoir plus Sans un mot, sans un visage, le territoire de l’île d’Ouessant offre un point de départ à cette série d’œuvres qui se confronte aux limites de la perception, aux paysages limites d’une terre qui se perd dans l’océan. Dans ces mises en scène inquiétantes où sourd le vrombissement continu d’une menace invisible, l’œuvre de Capucine Vever met en jeu l’urgence d’un monde dont les mutations sont sensibles autant que des biais symboliques qui en réfléchissent les effets. Autour du travail de la cartographie, de la transcription des surfaces du monde sur le mode de la représentation, l’artiste fait du territoire et de sa perception l’origine et le motif d’une histoire qui s’y noue autant qu’elle s’en émancipe.Sur un fil glissant continuellement de la figuration à l’abstraction, les artefacts de Capucine Vever déploient une narration qui fait de l’ancrage local le point d’amarrage d’une réflexion singulière qui suspend le temps, confondant un présent bien lisible à un avenir immémorial. En cela, les photographies des alentours du sémaphore du Créac’h exhibent des nuits ambiguës où la lumière, capturée par un objectif ultra-sensible, produit des décors impossibles et déserts, vérités nues et impalpables d’un monde que les limites de la perception humaine ne peuvent réduire.
Une perception qui se trouble également avec la superbe variation d’un planisphère parcouru par les lignes figurées des routes maritimes empruntées par les cargos, rongeant, au fil des plongées de la plaque initiale dans un bain d’acide, la surface d’un monde méconnaissable. La représentation cartographique se fait paysage organique, rongé par une colonisation graphique qui enfle et distend les repères pour effacer, sous sa marque, les frontières d’une terre nécessairement impactée.
Car si elle se tourne, depuis le sémaphore du Créac’h, vers un extérieur, vers cet autre qu’est l’océan, Capucine Vever souligne la dichotomie illusoire d’une terre stable et protégée. L’artiste, dans l’incertitude inquiétante qui parcourt cet ensemble, ne fait que retranscrire la brèche d’une terre à l’équilibre aussi précaire que la surface d’un océan sauvage. Elle retranscrit un horizon mouvant sur le monde, reflétant l’ambiguïté essentielle de la navigation, ce déplacement au sein d’un monde où voir ne suffit pas, où l’on progresse au gré de savoirs accumulés, de cartographies élaborées par d’anciens. Chaque chemin emprunté correspond à une variation, à une révision d’un trajet déjà effectué, une ligne imaginaire et impossible tracée sur un planisphère, enregistrée dans un ordinateur de bord.
À l’aveugle donc, dans la vidéo qu’elle présente, La Relève, on écoute et on tente d’apercevoir ce ballet de navires, aussi imposants qu’imperceptibles face à l’étendue de la mer, un désert infini peuplé de titans invisibles dont les noms sont égrenés comme autant d’idoles secrètes. Pourtant, leur activité hautement rationalisée, optimisée et invariablement accélérée, menace subrepticement notre propre équilibre. Les plans successifs des éléments du sémaphore ne peuvent arrêter le rythme vertigineux d’une activité qui arase les distances en une valeur marchande.
La ligne continue de l’horizon devient alors le support d’histoires aussi intrigantes qu’inquiétantes où se joue, derrière un voile, l’avenir du monde. C’est cette même ligne que figure Capucine Vever dans l’œuvre C’est en chantant(…), comme un écho à la ligne fragile tracée par la cartographie sur l’espace figuré ; une ligne qui redéfinit l’espace qui l’entoure, des pierres irrégulières traversées par un lien qui les unit et donne les outils de compréhension de leur différenciation. Une frêle ligne enfin qu’un simple geste effacerait.
Entre réflexion métaphorique intimiste et dédale narratif inquiétant d’une fiction d’autant plus puissante qu’elle retranscrit l’impossibilité de percevoir le réel, Capucine Vever dresse ses « mirages linéaires » comme autant de phares riches d’histoires et d’enseignements sur l’usage du monde qui apparaissent bien plutôt comme les reflets d’une illusion dont il apparaît urgent de se départir.