
Mathieu Cherkit — Galerie Xippas
En poussant la focale au plus intime, Mathieu Cherkit touche à une intériorité commune, laissant glisser les affects en liberté, au gré de nos propres visions, de la douce quiétude du foyer à l’amère répétition de l’enfermement. Une nouvelle exposition très convaincante présentée à la galerie Xippas, Always on My Mind.
« Mathieu Cherkit — Always on My Mind », Galerie Xippas du 6 septembre au 15 octobre. En savoir plus Connu pour son œuvre pictural dédié à son environnement domestique immédiat, Mathieu Cherkit joue de la géographie par le temps. Les temporalités possibles se soutiennent et les contextes, les moments et les indices sociétaux se déclinent par fragments, la marque d’un ordinateur, l’ordre intérieur, la marque d’un produit. Dans ses agencements figuratifs, l’abstraction se révèle par strates ; les matières se superposent avec une impossible cohérence, celle de la matière peinture venant, par son volume, rendre les anfractuosités du monde.Car si la peinture est bien le sujet central ici, sa complexité et sa richesse renvoient, à travers une teinte, à travers un reflet, aux modulations de sentiments qu’elle libère. Ce miroir donc, qui n’est pas le nôtre, devient au fil de l’exposition une fenêtre sur un monde en commun, peuplé singulièrement.
Ces nouvelles toiles, qui oscillent entre la rémanence de lieux déjà travaillés et l’exploration de territoires inédits, témoignent d’un rapport à l’espace influencé mais jamais figé. La vibration insolente d’un jaune, l’accumulation d’ustensiles ou leurs absences, des éclats de vie arrachés au quotidien, déplacés, recomposés ; habiter un lieu n’est pas l’apanage de ceux qui y résident. Et la fantaisie, la répétition par la peinture, la remémoration deviennent autant de manières de faire vivre une tradition de bien ancrée dans l’histoire de l’art, la peinture d’intérieur qui se voit ici augmentée d’une ambiguïté constitutive.
Ce travail de projection immédiate, presque de réflexion plastique, se matérialise dans l’épaisseur même de la peinture. Les couches sédimentées forment une topographie plastique où le geste pictural devient la trace concrète du temps passé. Çà et là, des aberrations creusent la matière, et lui donnent une seconde vie, comme des tags intrus sur une image déjà exposée aux autres. Loin de la simple figuration, les volumes et empâtements débordent la toile, affirmant que la peinture ne se contente pas de représenter : elle construit une matière à part entière, un intérieur retourné en panneau public, mobilier commun.
Ainsi, l’œuvre de Cherkit brouille les frontières entre figuration et abstraction. Une cuisine se lit moins comme un espace narratif que les reflets qui y dansent, l’escalier raconte un désir d’aplats et de lignes, de matière peinture qui, à son tour, habite le spectacle quotidien, où l’image contamine son modèle, le jardin est l’orée d’un paysage dont on retrouve d’ailleurs une itération dans un très beau tableau vide de toute construction.
Dans cette tension entre l’intime et l’ailleurs, l’horizon s’ouvre et l’on sort par moments de la maison. Mais la sortie n’est jamais absolue, les perspectives restent tortueuses, à l’image de la vue sur rue semblant porter la contorsion nécessaire pour l’apercevoir, sans doute depuis le premier étage. Ou ailleurs, la lecture, libre, maintient toujours sa cohérence ; la maison est toujours le pôle magnétique de la composition. Tout y retourne, elle retourne tout, comme elle a tout ordonné.