David Lynch — Maison européenne de la photographie
Depuis que la MEP a une vision large de la photographie, l’institution invite régulièrement des artistes dont le médium photographique n’est pas le centre névralgique de leur création. Si la proposition fut réussie avec Claude Lévêque il y a peu, elle l’est un peu moins avec Small Stories, plongée dans l’inconscient bricolé de David Lynch. Bricolées, rapiécées, les images manquent parfois de force plastique. Pour autant, il est intéressant de s’y confronter.
« David Lynch — Small Stories », MEP, Maison européenne de la photographie du 15 janvier au 16 mars 2014. En savoir plus Point d’interprétation chez celui que l’on associe paradoxalement à une herméneutique fouillée. Non, David Lynch ne filme ni ne photographie pour que l’on y trouve des clés de lecture symboliques ou ésotériques du monde. Cela n’est pas à dire qu’il n’en en a pas. Sa vision est brute, elle se donne de façon fugace mais quiconque voudrait la regarder de près pour la comprendre autant ou mieux que lui, se heurterait à un mur aveugle. Aussi, apprendra-t-on aux côtés du réalisateur, à voir sans regarder. À se laisser aller à un penchant sensible et une appréhension intuitive des images. Privées de sens car elles ont été créées sans aspirer à la démonstration, elles se tiennent, muettes, fragiles. Déconcertantes. La préférée de Lynch, il nous le confiera, dessine les contours d’une tête d’un cheval tout droit sorti d’un désuet carrousel du XIXème siècle. Posé sur un chariot, il est prêt à partir pour le Grand Ouest. Au fond à gauche, un petit homme aux allures de Charlie Chaplin semble avoir été rétréci par la dynamique des rêves. Dans cette composition qui rappelle l’ambiance des premiers films du réalisateur, il y a beaucoup d’une enfance perdue, fuyante, dont le souvenir est si lointain qu’il rapetisse les êtres.Pourtant, Lynch expliquera que la quête d’une enfance perdue ne fut pas le moteur principal de ses montages qui sont loin de retranscrire une narration consciente. Du reste, les références de son travail ne sont guère explicites pour lui-même. L’ombre d’un visage qui cache une lune et renvoie directement aux tableaux de René Magritte reste sans doute une ombre pour lui aussi. Un voile opaque à sa propre création. Qu’en sait-il, au fond ? Et qu’attend-on de ce presbytérien ? Qu’il dissèque, avec nous, les quatre coins de ses images suivant une analyse toute théorique ? Rien de tout cela n’aura lieu. Au contraire, Lynch rappellera que seul le pouvoir d’imagination le mobilise profondément. C’est à cela qu’il invite le regardeur. À imaginer un monde à partir du sien. Ses têtes balafrées, scarifiées n’ont plus d’yeux, seuls quelques orifices rappellent qu’il y a un visage quelque part. Chez Lynch, comme dans Eraserhead, les enfants naissent telles des larves. Des créatures surnaturelles qu’il faudra pourtant élever comme un nourrisson. Porter au sein et biberonner. Le réalisateur, tout comme le photographe, accueille le surnaturel. Non pour effrayer l’assistance mais pour le banaliser, l’humaniser.
Avec lui, l’horreur, le bizarre, l’étrange, le difforme font partie de l’humanité. Une humanité que Lynch nous demande de regarder avec bienveillance et imagination.