Les dix ans du Plateau — Entretien avec Xavier Franceschi
En dix ans, le Plateau, lieu d’exposition du FRAC Île-de-France, s’est bâti une réputation d’excellence et d’audace en matière d’art contemporain. Si son histoire fut mouvementée, un trait a toujours perduré dans sa politique : la confiance et l’importance accordées aux artistes qui y ont exposé.
Guillaume Benoit : Comment est né le Plateau ?
« Le Plateau : 10 ans ! », Frac île-de-france, le Plateau du 19 septembre au 3 octobre 2012. En savoir plus Xavier Franceschi : À l’origine, la construction d’un complexe immobilier dans le quartier Jourdain / Buttes-Chaumont en lieu et place de l’ancienne Société Française de Production (SFP) a encouragé une association de riverains, avec à sa tête l’artiste Éric Corne, à militer pour la création d’un lieu pour l’art contemporain. Après moult péripéties, c’est finalement en se tournant vers la Région Île-de-France et le Frac Île-de-France, qui était toujours dépourvu de lieu d’exposition — c’était d’ailleurs à l’époque le dernier Frac à ne pas en disposer — que les choses ont été rendues possibles. Et le Frac Île-de-France a donc ouvert le Plateau en 2002.Comment s’est alors organisé le Frac Île-de-France ?
Le Frac Île-de-France s’est notamment défini par la mise en place d’une co-direction artistique sur la programmation du Plateau ; ce fut d’abord celle de Bernard Goy, mon prédécesseur et directeur du Frac, associé à Éric Corne. Ensuite Éric Corne a cédé sa place à Caroline Bourgeois avant que je ne prenne la direction du Frac.
Le passage de la co-direction à la direction unique avec votre arrivée a été un moment assez tendu. Éric Corne, premier directeur, tenait des propos très pessimistes à cette époque. Quelle était alors la politique que vous vouliez mettre en œuvre ?
Le Plateau, depuis son origine, est donc le lieu du Frac Île-de-France. Les co-directions qui se sont succédé — des co-directions imposées et non conçues en amont par les différents intéressés — ont pu tant bien que mal fonctionner, mais d’évidence ce n’était pas un mode d’organisation adapté. En 2008, les choses ont pu enfin évoluer pour en venir à ce qui peut somme toute apparaître cohérent : une structure, un directeur. Quant à la politique à mettre en œuvre, il n’y avait pas rupture, tout au moins pour ce qui concerne les missions du Plateau : il s’agissait de poursuivre, voire de développer un travail fondé sur la production, tant d’œuvres nouvelles avec les artistes, que de projets spécifiques d’exposition. Je crois qu’aujourd’hui, plus personne ne remettrait en cause le travail qui est fait à ce titre au Plateau. Pas plus que la place que le Plateau occupe dans le champ de la création contemporaine…
Une grande partie des expositions organisées au Plateau est de nature monographique, ce rapport aux artistes est quelque chose qui vous tient à cœur ?
Pour moi, une programmation, c’est d’abord affirmer des choix. Et en premier lieu, ces choix, ce sont avant tout des choix d’artistes. Quels sont les artistes que l’on veut défendre à un moment précis et dans un contexte qui n’a jamais été aussi large et diversifié ? Quels sont les artistes pour lesquels on va s’engager parce que leur démarche nous apparaît forte et nécessaire ? Et s’engager pour eux, auprès d’eux, c’est se donner tous les moyens de le faire au mieux : à ce titre, l’exposition monographique est sans conteste la meilleure façon de le faire. Et c’est pour ça que, oui, les expositions personnelles sont essentielles pour moi, qu’elles sont les vrais marqueurs d’une programmation.
La proximité avec les artistes est une constante dans votre parcours. Pour la campagne médiatique des 10 ans du Plateau, une fois encore, vous faites appel à eux, cette complicité vous paraît essentielle ?
Chaque fois qu’il s’agit de faire un projet, quel que soit le domaine, je vois s’il est possible de le mener avec un artiste. C’est comme une sorte de réflexe. C’est le cas par exemple du projet de réhabilitation du château de Rentilly. Au moment où il a été question de l’entreprendre, et alors que nous avions développé nombre de projets à partir de la collection du Frac avec la Communauté d’agglomération de Marne et Gondoire qui en est le propriétaire, j’ai proposé de le confier à un artiste. Et c’est Xavier Veilhan qui a été choisi pour un projet qui fera date : pour la première fois un artiste aura conçu la réfection totale d’un bâtiment pour en faire à la fois une œuvre et un lieu parfaitement adapté à l’organisation d’expositions. Pour les 10 ans du Plateau, l’idée s’est rapidement imposée : inviter tous les artistes ayant eu une exposition personnelle au Plateau à nous proposer une image pour qu’elle devienne affiche et soit diffusée dans l’espace public.
Ce rapport aux artistes passe aussi par la découverte. En la matière, Le Plateau a souvent organisé les premières expositions d’envergure d’artistes internationaux, à l’image d’Adel Abdessemed, dont on inaugure ces jours prochains une monographie au centre Pompidou.
C’est un bon exemple, Adel Abdessemed a bénéficié d’une exposition importante au Plateau qui a effectivement participé d’une trajectoire assez exceptionnelle. Il y a d’autres exemples, je pense notamment à Ulla Von Brandenburg, qui n’avait, elle, jamais exposé dans une institution française et qui a enchaîné, sur le plan international, de nombreux projets. On peut aussi citer des artistes que nous avons présenté pour la première fois en France et notamment à Paris, tels que Charles Avery ou Keren Cytter.
En même temps, l’implantation du Plateau dans un quartier populaire encourage-t-elle une ouverture à tous les publics ?
Quand on dirige un tel lieu d’exposition, on a l’ambition d’y présenter le meilleur de la création. Et ce, dans un premier temps, sans se soucier des différents publics que l’on va avoir. Je dirais même que c’est parce que nous sommes dans un quartier en partie populaire qu’on se doit de présenter le meilleur de la création. Ensuite, il y a évidemment l’importance du travail de médiation pour que ce que l’on présente puisse être effectivement partagé par le plus grand nombre. Et ce travail de médiation, au Plateau, est extrêmement conséquent. Le public, pour peu qu’il le veuille, est accompagné en permanence dans sa découverte des œuvres.
Concernant les cartes blanches de commissariat, comment est née cette idée ?
D’abord, au moment où la co-direction s’est interrompue, il m’a semblé qu’il ne fallait pas pour autant se refermer sur une vision unique, sur quelque chose d’univoque. Par ailleurs, nombre de commissaires de qualité se sont affirmés ces dernières années, notamment par des projets très personnels. Il m’a donc semblé intéressant d’intégrer cet aspect des choses, de s’ouvrir à d’autres visions, en conviant des commissaires selon une formule quelque peu différente de ce qui se pratique en général : les inviter sur une période longue, afin qu’ils puissent développer une pensée qui précisément, le plus souvent, ne saurait se résumer à un « one shot ». L’idée est aussi de leur ouvrir totalement la structure : des expositions au Plateau, mais aussi hors les murs avec la collection, les intégrer au comité d’acquisition, etc. Le Plateau n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom…
Quels sont vos projets pour le futur du Plateau ?
Il y aura bientôt Museum of American Art, la nouvelle proposition de Yoann Gourmel et Élodie Royer, puis, l’année prochaine, Paint it Black, une exposition que je vais organiser à partir des récentes acquisitions. En septembre 2013, j’ai invité Ryan Gander pour une exposition personnelle. Après, aux côtés du Plateau, nous avons des projets de développement très importants : se doter de réserves pour la collection — encore une particularité du Frac Île-de-France : nous louons des espaces — archi-saturés — à cet effet — qui seront en partie ouvertes au public, et puis, donc, ce projet à Rentilly qui sera un lieu de monstration permanent de la collection. L’idée, à la différence des autres Frac qui se muent en véritables pôles d’art contemporain au sein de leur région, est à terme de constituer un Frac « multi-sites » pour une implantation adaptée à ce territoire si particulier qu’est la région Île-de-France.