Je suis Adel Abdessemed
Exposé jusqu’au 7 janvier 2013 au Centre Pompidou, Adel Abdessemed dévoile une œuvre qui, dans sa pluralité, met en lumière un rapport essentiel à l’autobiographie.
Voitures brûlées, avions concassés, Christs étincelants, Zidane de six mètres de haut : Adel Abdessemed a indéniablement le sens du spectaculaire. Provocateur, abrasif, nourri d’images qui ont marqué l’actualité du jeune siècle, son art a un impact immédiat, troublant et excitant à la fois. Pourtant, les œuvres du natif de Constantine possèdent, derrière leur efficacité purement plastique, une sémantique riche qui touche au domaine du rêve, se conçoit selon les mouvements entrelacés de l’ornementation, ou replonge dans l’histoire de l’art, la politique ou la parodie.
Je suis innocent indique encore une autre piste : celle de l’autobiographie. Qu’il ait conçu ce titre en réponse à la polémique suscitée par sa dernière exposition à San Francisco ou en se rappelant que Beaubourg se dresse sur l’ancien cimetière des Innocents, ce qui compte, c’est bien ce « je », premier indice d’une lecture intime du parcours du Centre Pompidou. L’affiche, d’ailleurs, est une photographie de l’artiste en combustion : dans la rue qui lui sert habituellement de décor pour ses vidéos, il apparaît hiératique, les bras croisés, le torse bombé, léché par les flammes orange. Non pas comme la victime d’un accident, mais comme un dieu du feu, résolu et vengeur, ou comme un fakir qui ne craint pas les blessures, insensible aux attaques. À moins que sa sérénité ne renvoie aux moines bouddhistes qui s’immolaient pour protester contre la guerre au Vietnam, écho des carcasses de voitures calcinées qui marquèrent la banlieue parisienne à l’automne 2005.
Cet autoportrait entre en résonance avec un petit tableau a priori insignifiant au regard des autres pièces de l’exposition, Paradis. Une gouache sur papier petit format : un hérisson portant sur son dos un bâton de dynamite, symbole de résistance (les pics qui le protègent) et, en même temps, symbole iconoclaste (l’explosif). Presque une profession de foi. D’autant que son emplacement, au cœur du parcours, le place en trait d’union, entre l’espace ouvert et dépouillé qui contient ses œuvres les plus puissantes, et l’espace confiné, voire anxiogène, dominé par le brouhaha des vidéos où le monde sauvage et le monde civilisé s’affrontent.
Si l’artiste est souvent présent dans l’exposition en filigrane (par exemple, les anneaux de barbelés de Wall Drawing sont aux dimensions de son corps, référence à L’Homme de Vitruve), il n’apparaît véritablement qu’une seule fois, dans la vidéo intitulée Also sprach Allah (2008). Reproduisant la scène du tableau Pelele de Goya (1792), qui voyait quatre jeunes femmes faire sauter un mannequin de paille sur un drap, Adel Abdessemed, catapulté par des acolytes vêtus de blanc, tente d’écrire sur un tapis tendu au plafond la formule détournée de Nietzsche.
Ainsi, à l’image de nombre de ses vidéos (lorsqu’il saute d’un hélicoptère, qu’il est perdu au milieu d’une mer démontée, etc.), Abdessemed se met en scène ballotté, chahuté, bringuebalé par des forces incontrôlables. Et, comme le montre explicitement Also sprach Allah, plutôt que d’essayer de maîtriser ces forces, l’artiste tente de les retranscrire. De les traduire. Appliqué à plus grande échelle, cela donne à voir toute son œuvre comme une tentative d’écriture du monde contemporain, mais aussi de tous les souvenirs, lectures, images ou rêves qui ont pu, à un moment ou à un autre, l’affecter. Tel un sismographe, Adel Abdessemed transforme ces secousses en un langage contrasté, où le noir et le blanc, couleurs du réalisme, entrent en collision.