Precious Okoyomon — Galerie Mendes Wood DM
Chez Mendes Wood DM, Precious Okoyomon instaure un climat oscillant entre innocence et menace qui met à l’épreuve le cœur et chavire indiciblement les corps. Le décor pastoral se heurte au métal, les créatures jouissent et souffrent à l’envi quand l’environnement lui-même quitte sa fonction de paysage et devient acteur de cette opacité troublante.
Avec ses dessins naïfs répétés sur un papier peint jusqu’à la saturation et ses sculptures maximisant les jouets pour enfants, symboles d’une mondialisation, nostalgie et angoisse se confondent en une succession de saynètes qui bousculent les ordres et pourraient vite basculer vers la terreur sans jamais s’y perdre. Comme motivé par un désir de protection ou une décision de maintenir l’indécision d’un réel qui ne se résout jamais, le parcours expose le spectateur plus que ses œuvres à une gravité expérimentale, le reléguant bien souvent derrière des barrières (grilles, plaques de verre…) qui imposent une médiation entre cet onirisme et notre propre corps.
Une mise en tension constante entre enchantement et danger qui s’inscrit aussi dans une pensée du vivant comme champ de bataille historique. Chez Okoyomon, la nature n’a rien du refuge : elle porte les cicatrices d’une violence miroir à la nôtre, à la sienne, inscrite jusque dans le sol que nous foulons. À sa manière, elle rend visible cet ensemble paradoxal que nous habitons autant que nos représentations ; elle rehausse même ce que toute domination a pu rendre muet : le désir et l’anxiété.
On ne sait ainsi si le feu dans les yeux de ces oursons dont la douceur nous est soustraite traduit le désir ou la terreur de l’attaque, si même il n’est pas le reflet de cette fin du monde évoquée dans le titre de l’exposition. On ne sait pas non plus si la sensualité puérile de ces figures aux limites du montrable est une libération ou une contrition. Simplement sent-on que l’on n’a peut-être rien à faire là et que notre responsabilité serait peut-être de ne pas nous en mêler, incapables que nous avons été de fabriquer un monde sans rapport de force, sans le prix de notre propre destruction à payer. Quand bien même elles semblent s’offrir à nous, il apparaît bien que nos univers restent hermétiques.
Un monde que, dans sa fuite, Precious Okoyomon met finalement en cause, fournissant à la végétation, à ses êtres fantastiques, les armes pour le repeupler et en finir avec ce qui les bride. Le plaisir est trouble, mais il semble communier avec une nature qui les surveille autant qu’elle les accompagne.
La luxuriance devient alors une forme de résistance, peut-être une vengeance, et, en tous les cas, une alternative à notre système qui en brise la continuité. Elle dessine, au long de cette belle exposition, un entre-deux tout à fait marquant où langue et langueur composent un désir qui darde et trace, précisément dans le doute qu’il nous assène, un horizon de vie d’autant plus intense qu’il nous aurait relégués derrière son grillage.
Precious Okoyomon, It’s Important to Have ur Fangs Out, du 20 octobre au 21 décembre puis du 5 au 17 janvier 2026, galerie Mendes Wood DM, Paris, 25, place des Vosges, 75003, Paris.