Glenn Ligon — Galerie Chantal Crousel
La galerie Chantal Crousel propose, du 8 septembre au 4 octobre, une exposition sobre qui parvient à mettre en valeur le travail profond et beau de Glenn Ligon. Figure de la scène artistique new-yorkaise, il développe depuis plus de vingt ans un œuvre empreint de peinture, de littérature et de graphisme qui questionne les déterminations sociales et la concrétude de la langue dans l’expression artistique.
« Debris Field/Notes for a Poem on the Third World/Soleil Nègre », Galerie Chantal Crousel du 8 septembre au 4 octobre 2018. En savoir plus Ce natif du Bronx, amoureux éconduit par ses professeurs d’alors de peinture abstraite (il cite volontiers ses idoles : De Kooning, Pollock et Kline), aura ainsi entamé sa carrière d’artiste de biais, délaissant une place en cabinet d’avocats à la faveur d’une bourse artistique qui le conduira à « assumer » sa vocation de créateur. Sexualité et homosexualité, statut de l’homme noir dans la société, les questions qui taraudent son œuvre sont celles d’un temps et d’une biographie qui se mêle à sa pratique. Comme une évidence, les mots qu’il avait coutume d’accoler à ses compositions deviendront eux-mêmes la matière picturale de son œuvre, l’événement tangible d’une création qui prolongera l’acte de l’inscription jusqu’à l’invention de formes matérielles, de précipités de signes et de lettres comme autant de trames d’un motif inédit, d’un sujet indicible composé de signes intelligibles.Un mouvement que l’on retrouve dans les trois séries présentées dans l’exposition qui se complètent et évoquent entre elles la puissance esthétique de l’écriture. De la force plastique des courbes typographiques en passant par le plaisir sensuel de l’encre liquide dont les reflets sont magnifiés par ses recherches picturales sur le noir. Même ses néons noirs, dessinant des mains d’un trait hésitant rejoignent, à la manière de motifs répétables, la question de l’écrit en ouvrant encore ses significations. Variation symbolique de son œuvre, les différentes implémentations de tube de peinture sur les caractères répétant la locution « Soleil nègre » jusqu’à disparaître totalement, s’émancipant totalement dans l’oxymore symbolique qu’il représente.
Dans ses grandes toiles, véritables pièces majeures de l’exposition, Ligon libère le caractère typographique de sa signification originelle vers des compositions audacieuses et étranges, retrouvant, à travers leurs formes, une essence organique intrigante et dont la profondeur fabuleuse du noir qui se cuivre marque sa différence avec les traces de signes qui le parsèment.
En ce sens, la présentation qu’en propose Chantal Crousel respecte au plus près l’évidence, la frontalité qui a toujours caractérisé sa démarche et lui a assuré une reconnaissance dépassant largement le public spécialisé (ses peintures atteignent depuis quelques années des sommets en salles des ventes). Ici encore, Glenn Ligon défie le sens premier pour laisser vivre un sous-texte qui engage le regardeur.
Quelle position tenir face à la répétition lascive et presque industrielle, de par son usage de capitales d’imprimerie délestées de signes de ponctuation ? Quelle empathie, quelle colère partager face à un geste de peintre éminemment subjectif qui aligne les lettres pour former des monologues obsessionnels analogues aux supplications internes que l’on répète intérieurement face aux dangers ? Un désir commun et urgent de partager et prolonger ces gestes d’émancipation sans doute.